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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/41

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Au XIIe siècle, le français du nord dans un domaine qui a pour limites tel, tel, et tel points… change en u le l placé devant une consonne et après un a[1].

Et comme cette régularité se retrouve dans l’évolution des langues de tous les temps et de tous les pays que nous pouvons étudier, une bonne partie du travail scientifique de ces cinquante dernières années a consisté à établir les lois de l’évolution des sons, ou, comme on dit plus ordinairement, les lois phonétiques de chaque langue, à trouver d’abord les plus générales, puis à descendre aux plus spéciales, et à préciser les époques, les lieux, les conditions où chaque série de ces changements si nombreux s’est accomplie. Pour le français, le travail est presque achevé dans ses parties essentielles, et la valeur des résultats n’est contestée par personne.

L’étymologie y a gagné de devenir, de conjecturale qu’elle était autrefois, une science exacte, au moins en ce qui concerne la forme des mots. Nul n’est plus en droit aujourd’hui, pour expliquer un vocable français, d’aller chercher, dans une langue quelconque, une forme qui s’en rapproche peu ou prou, et de supposer, pour expliquer les différences que la forme française présente avec la forme de la langue originelle, des transformations exceptionnelles, imaginées pour les besoins de ce cas particulier. Pour qu’un mot français puisse être identifié avec un mot latin, il faut, encore n’est-ce là qu’une des moindres garanties qu’on demande aujourd’hui aux propositions étymologiques, qu’on puisse justifier une à une, par l’application régulière des lois générales, les transformations, les apparitions ou les disparitions de sons qui ont pu se produire. La moindre dérogation

  1. On trouvera ces lois exposées partout : il est important cependant de les aller chercher dans des ouvrages modernes, non dans des traités arriérés, encore très répandus en France, qui ont pu avoir grande utilité en leur temps, mais qu’on a eu le tort de toujours réimprimer tels quels, sans y ajouter ni y corriger rien, quelque progrès que fît la science. Ainsi il est devenu banal de répéter que dans les mots latins qui passent en français, la consonne médiane entre deux voyelles tombe. Rien cependant n’est plus faux, sous cette forme générale. À preuve ripam = rive, fabam = fève, solere = souloir, morire = mourir, minare = mener, et même placere = plaisir. Ni p, ni b, ni l, ni r, ni n, ni c, ne tombe, la règle prétendue générale ne s’appliquant qu’à une faible partie des consonnes. Voir parmi les traités élémentaires : Bourciez, Précis de phonétique française, Paris, 1889 ; Darmesteter, Cours de grammaire historique, Paris, Delagrave, 1892 ; Schwan, Grammatik des altfranzösischen, Leipzig, 1896. Ce dernier ouvrage renvoie, dans un appendice bibliographique, aux études de détail.