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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/432

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plus de trente, pour aller se divertir avec les chevaliers. Elles descendent au jardin. Les chevaliers tout joyeux vont à leur rencontre, et chacun en prend une par la main. C’était là belle réunion. Lanval s’en va d’un autre côté, loin des autres. Il lui tarde de pouvoir tenir son amie et ne prise aucune autre joie. Quand la reine le voit seul, elle se dirige de son côté, s’assoit près de lui, et lui découvre ses sentiments :

« Lanval, moult vous ai honoré
Et moult chéri et moult aimé.
Pouvez avoir tout mon amour :
Dites m’en votre volonté ! »

Lanval lui répond :

« Madame, en repos me laissez !
Je n’ai cure de vous aimer.
Longuement ai servi le roi,
Ne lui veux pas mentir ma foi.
Jamais pour vous ni votre amour
Ne ferai tort à mon seigneur ! »

La reine courroucée lui dit alors : « Lanval, je vois bien que vous n’aimez guère pareil plaisir. On me l’a dit assez souvent, que vous ne vous souciez pas des femmes. Mais il vous faut de jeunes écuyers, bien attifés. Vilain couard ! Le roi a bien tort de vous souffrir auprès de lui ! »

« Dame, répond Lanval, je ne suis pas ce que vous dites. Mais j’aime celle qui doit avoir le prix sur toutes celles que je sais.

« Et une chose vous dirai,
Qu’une de celles qui la sert,
Toute la plus pauvre servante,
Vaut mieux que vous qui êtes reine,
De corps, de beauté, de visage,
D’esprit, de cœur et de bonté ! »

Il oubliait, dans sa colère, qu’en révélant ainsi le secret de son amour, il devait perdre son amie.

La scène est un peu brutale. Une situation semblable est traitée dans la Châtelaine de Vergy[1] avec plus de délicatesse. Mais il ne

  1. Voir une analyse détaillée de la Châtelaine de Vergy dans Revue de philologie française (Paris, Bouillon, t. VIII, p. 190).