Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/433

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

faut pas oublier qu’il s’agit ici d’amener Lanval à découvrir le secret qu’il devait taire : c’est le nœud même de l’action.

La reine accuse Lanval près du roi de l’avoir requise d’amour, et, sur son refus, de s’être vanté d’avoir une amie si noble et si fière que sa plus pauvre chambrière valait mieux qu’elle-même. Lanval déclare que la première partie de l’accusation est fausse, mais qu’il a bien tenu le propos qu’on lui prête. Il est cité devant la cour du roi, qui le somme de faire venir son amie pour justifier son dire. Comme il a perdu le pouvoir d’évoquer la fée, il va être condamné, lorsqu’on voit arriver successivement deux demoiselles richement vêtues, puis deux autres, qui annoncent la venue prochaine de leur dame. Celle-ci paraît enfin, montée sur un blanc palefroi, magnifiquement harnaché. C’était la plus belle dame qu’on eût jamais vue. Sous son manteau de pourpre, sa tunique blanche, lacée sur les côtés, laissait voir l’élégance de sa taille nue :

Le corps eut beau, basse la hanche,
Le cou plus blanc que noif[1] sur branche ;
Les yeux eut vairs, blanc le visage,
Belle bouche, nez bien assis,
Les sourcils bruns et beau le front,
Tête bouclée et blondissante :
Fil d’or ne jette tel lueur
Que ses cheveux sous le soleil.

Un épervier sur le poing, et suivie d’un lévrier, elle venait au petit pas, accompagnée d’un gentil damoiseau portant un cor d’ivoire. Jamais on ne vit de si grandes beautés, ni en Vénus, qui en était reine, ni en Didon, ni en Lavinie. Petits et grands, vieillards et enfants se pressaient pour la voir. Les juges en étaient « réchauffés de joie ». Il n’y avait pas à la cour d’homme si vieux qui ne la regardât volontiers et qui ne l’eût servie si elle l’eût permis.

On avertit Lanval. Il la reconnaît et se prend à soupirer ; le sang lui monte au visage. « Voici mon amie ! dit-il. Peu m’importe la vie, si elle n’a pitié de moi. »

La dame descend de cheval devant le roi, qui se lève avec toute sa cour pour lui faire honneur. Elle laisse choir son manteau pour qu’on puisse la mieux voir. Puis elle parle ainsi :

  1. Neige.