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Les deux femmes quittent la chapelle, et on envoie avertir Eliduc.

Quand vive a trouvé son amie,
A sa femme dit doux merci ;
Jamais nul jour n’eut telle joie.

La dame demande congé à son mari, car elle veut se faire nonne.

Qu’il ait celle qu’il aime tant,
Car n’est pas bien ni avenant
Qu’à la fois on ait deux épouses.

Eliduc lui fait construire une abbaye, et elle s’y retire avec trente nonnes.

Eliduc épouse ensuite Guilliadon, et ils vécurent ensemble longtemps en parfaite amour. Mais ils n’avaient pas la conscience tout à fait tranquille ; après avoir commencé par faire de grandes aumônes, ils prennent la résolution de se retirer chacun dans un couvent. Eliduc fait construire une abbaye pour lui et met Guilliadon avec sa première femme.

El la reçut comme sa sœur,
El moult lui porta grand honneur.
Pour leur ami elles priaient
Afin que Dieu lui fît merci,
Et lui priait aussi pour elles.
Grâce à Dieu firent belle fin.

L’auteur d’Eliduc[1] a su rendre ses trois héros également intéressants : le chevalier, amené par une sorte de fatalité à aimer la jeune fille et à lui cacher sa situation, Guilliadon qui croit aimer un homme libre de tout engagement, et qui tombe mourante quand elle apprend la vérité, enfin la femme légitime, si tendre et si résignée. Et les incidents les plus pathétiques naissent du caractère même des personnages : la belle scène entre les deux femmes au moment du réveil de Guilliadon, et le dénoûment qui les réunit dans le même couvent comme deux


    tuée d’un coup de bâton par l’écuyer. Il y a dans cet épisode, qui nous paraît singulier, le souvenir d’une vieille croyance populaire.

  1. Sur la légende qui se rattache à ce lai, voir une étude très intéressante de M. Gaston Paris dans la Poésie au moyen-âge, 2e série (Paris, Hachette, 1895, p. 109).