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sœurs. Les avances de la jeune fille une fois admises (elles rentrent dans les mœurs, ou tout au moins dans les conventions littéraires du temps), on est séduit par la grâce des scènes d’amour ; et la lutte qui se livre dans l’âme d’Eliduc entre sa loyauté et sa passion est dépeinte avec un soin et une sincérité qui nous attachent. Il y a des détails pleins de délicatesse, comme le silence d’Eliduc quand il reçoit le premier présent de Guilliadon. Son embarras devant la déclaration d’amour de la jeune fille est exprimé aussi avec beaucoup de finesse et de sobriété. Ce sont là des qualités qu’il est d’autant plus utile de signaler qu’elles passent pour être rares dans la littérature narrative du moyen âge.


IV. — Chrétien de Troyes et les Romans
de la Table ronde.


Question des sources de Chrétien de Troyes ; ses premiers romans. — C’est avec Chrétien de Troyes que commence véritablement en France l’histoire des romans arthuriens : car la cour d’Arthur ne joue qu’un rôle très secondaire dans le Tristan de Béroul. En 1155, dans son roman de Brut, traduction du livre pseudo-historique de Jofroi de Monmouth[1] Wace signale l’existence de contes sur les aventures merveilleuses d’Arthur :

Tant en ont les conteurs conté
Et les fableurs ont tant fablé
Que tout ont fait fables sembler.

C’est aussi Wace qui parle pour la première fois de la Table ronde,

Dont Bretons disent mainte fable.

Rien ne prouve d’ailleurs que cette invention de la Table ronde soit vraiment bretonne.

Il est donc incontestable qu’il y a eu des contes sur Arthur

  1. Nous rappelons que l’ « Histoire » de Jofroi de Monmouth avait été précédée de la chronique dite de Nennius.