Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/454

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La renommée du chevalier au lion se répand dans le pays, car nul ne réclame inutilement son aide ; c’est ainsi qu’il est ramené un jour à la cour d’Arthur, où il doit prendre la défense d’une noble demoiselle que sa sœur veut déshériter. Gauvain s’est fait le champion de l’usurpatrice, dont il croit la cause bonne. Les deux chevaliers sont mis en présence et se battent tout un jour sans se connaître. Sur le soir, après une lutte sans résultat, ils s’adressent des félicitations réciproques, se demandent leurs noms, se reconnaissent et se jettent dans les bras l’un de l’autre. Ils rivalisent de générosité, chacun d’eux voulant avoir été vaincu : « C’est moi ! — C’est moi ! » disent-ils à tour de rôle. Il semble qu’il y ait là un souvenir du « Me, me, adsum qui feci » de Virgile.

Mais Ivain ne peut vivre sans sa dame, il retourne à la fontaine merveilleuse, fait naître tempêtes sur tempêtes, et grâce aux bons offices de Lunette, qui use encore d’un habile stratagème, il rentre en grâce auprès de sa dame, qui consent à lui pardonner.

Beaucoup de romans en vers de la Table ronde sont construits d’après la même « formule » que le Chevalier au lion. Au début du poème, il est question d’une aventure extraordinaire, presque impraticable : le héros du roman, qui souvent vient à peine d’arriver à la cour d’Arthur, entreprend l’aventure, la mène à bonne fin, puis accomplit quantité d’autres prouesses ; il arrive à épouser une princesse de toute beauté et de toute richesse, et c’est près d’elle que l’auteur l’abandonne en terminant son récit. Parmi les auteurs de ces romans, le plus connu est Raoul de Houdan, auquel nous devons Méraugis de Portlesguez ; il avait aussi composé des poèmes allégoriques dont Guillaume de Lorris s’inspira pour écrire le Roman de la Rose. Les contemporains faisaient un tel cas de Raoul de Houdan qu’ils le plaçaient presque au même rang que Chrétien de Troyes. Les romans dont nous venons de parler sont appelés par M. Gaston Paris « romans biographiques », par opposition à ceux qui racontent des épisodes isolés, comme beaucoup de romans consacrés à Gauvain, et comme le « Chevalier de la charrette ». Il n’y a pas d’ailleurs de distinction fondamentale entre ces deux catégories, car les romans dits biographiques se limitent