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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/467

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qui pivote sur elle-même en suivant les mouvements du ciel. Quand il se réveille sur cette terre inconnue pour lui, il se dirige vers la mer et aperçoit bientôt une nef qui arrive à lui et s’arrête près du rivage. Étonné de ne voir et de n’entendre personne sur le pont, il entre dans la nef et la visite : il trouve un lit magnifique sur lequel repose une couronne d’or et une épée étincelante. Sur la lame de l’épée, à moitié sortie du fourreau, on lisait une inscription ainsi conçue : « Que nul n’ose achever de me tirer, s’il n’est le plus vaillant des preux. Tout autre serait frappé de mort en punition de sa témérité. » Les « renges » de l’épée étaient de la plus vile matière, à peine assez fortes pour la soutenir, et une inscription gravée sur le fourreau expliquait que ces renges ne pouvaient être changées que par la main d’une fille de roi.

Il y avait en outre trois fuseaux, deux placés aux deux extrémités du lit, l’autre posé en travers. Le premier était blanc comme neige, le second vermeil comme du sang, le troisième paraissait fait de la plus belle émeraude. Ils provenaient tous du pommier du paradis terrestre, dont Ève avait emporté un rameau qu’elle planta. Ce rameau donna naissance à un grand arbre, qui lui-même en produisit d’autres, et tous se trouvèrent être, tige, branches et feuilles, de la blancheur la plus éclatante. Le jour de la conception d’Abel, le premier de ces arbres devint vert, et, pour la première fois, se mit à fleurir. Les arbres qui provinrent de lui, à partir de ce moment, furent tous verts. Le jour de la mort d’Abel, le même arbre devint rouge comme du sang : il ne produisit plus ni fleurs, ni fruits, et aucun de ses rameaux ne reprit en terre. Tous ces arbres, les blancs, les verts et le rouge, avaient encore tout leur éclat à l’époque de Salomon. Or, une nuit, Salomon fut averti par une vision que longtemps après la naissance du Christ, un chevalier, le dernier de sa race, dépasserait en sainteté et en prouesse tous ceux du passé et de l’avenir. Il éprouva aussitôt le désir de trouver un moyen pour faire savoir à ce chevalier que sa venue avait été prévue. Très tourmenté de cette idée, il fut tiré d’embarras par sa femme, qui lui conseilla de faire construire une nef extraordinaire, celle qui vient d’être décrite. Salomon mit au chevet du lit, sous la couronne, une lettre qui commençait ainsi : « Écoute, chevalier bien-