Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/466

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Saint-Graal, où triomphe la chasteté la plus parfaite, se fût greffée sur la légende arthurienne qui est la glorification de l’amour le plus sensuel et le plus passionné. Cette opposition des deux légendes est indiquée nettement, et leur fusion est ingénieusement expliquée par l’auteur du Lancelot en prose, dans l’épisode de la conception de Galaad.

Lancelot a été conduit dans le cimetière merveilleux, près de la tombe sur laquelle on lisait l’inscription suivante : « Cette dalle ne sera levée que par celui qui doit donner naissance au lion royal ; celui-là pourra facilement la soulever, et il engendrera le grand lion royal en la fille du roi de la terre Foraine. » Lancelot réussit dans cette épreuve ; mais on savait qu’il aimait la reine Guenièvre, et on ne doutait pas qu’en raison de cet amour il ne se refusât à réaliser la prophétie. On use alors d’un stratagème ; il boit sans méfiance un breuvage qu’on lui présente, et aussitôt ses idées s’égarent ; on lui fait prendre la fille du roi pour son amie Guenièvre, et il passe une nuit près d’elle.

« Lancelot, dit le roman, pensant que ce fût sa dame la reine, la connut en péché et en luxure, contre Dieu et contre Sainte-Église. Et cependant le Seigneur, en qui toute pitié abonde, et qui ne juge point à la rigueur selon le forfait des pécheurs, leur donna d’engendrer et de concevoir tel fruit que, à la place de la fleur de virginité qui là fut corrompue et violée, fut conçue une autre fleur, de la douceur de laquelle maintes terres furent repues et rassasiées ; car de cette fleur perdue fut procréé Galaad le vierge, le très souverain, celui qui mit à fin les aventures du royaume d’Arthur et acheva la quête du Saint-Graal. »

Joseph d’Arimathie. — On ne se contenta pas de raconter la quête du Saint-Graal par les chevaliers d’Arthur, on reprit l’histoire de la précieuse relique à ses origines, et Robert de Boron écrivit un Joseph d’Arimathie (ou le Saint-Graal), qui fut bientôt traduit en prose, puis remanié et allongé. Nous donnerons une analyse rapide d’un épisode particulièrement important de ce roman, sous sa dernière forme.

Josephe, fils de Joseph d’Arimathie, a converti un prince païen et l’a baptisé sous le nom de Nascien. Après son baptème, Nascien est en butte aux attaques de ses ennemis. Jeté en prison, il est miraculeusement transporté dans l’île tournoyante,