Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/469

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qui fut traduit en italien et obtint, sous les deux formes, un grand succès.

L’enchanteur Merlin est engendré par un démon dans le sein d’une vierge. Les démons avaient espéré reconquérir l’humanité à l’aide de cet homme à eux, doué de leur science. Mais grâce à l’innocence de sa mère, Merlin emploiera pour le bien la connaissance du passé qu’il tient de son père et celle de l’avenir, que Dieu y ajoute. Ce n’est pas à dire que les actions qu’on lui prête soient toujours conformes à la morale ; mais il sert en somme la bonne cause, celle d’Arthur. Son histoire est remplie de déguisements extraordinaires et de prédictions étranges qui se réalisent, alors même qu’elles paraissent contradictoires entre elles. Il éprouve de l’amour pour Morgue, la sœur d’Arthur, à laquelle il enseigne une partie de ses secrets, et pour la demoiselle du lac, la protectrice de Lancelot, dont on racontait dans un autre roman aujourd’hui perdu (le conte du Brait), qu’elle enferma Merlin par ruse dans une tombe où il poussa un dernier « brait », entendu dans tout le royaume d’Arthur. Le roman de Merlin et ses continuations racontent la naissance d’Arthur et ses aventures jusqu’au moment de sa vie où l’auteur du grand Lancelot commence le récit.

La suite de ces romans constitue, on le voit, un véritable cycle, qui s’est formé comme les grands cycles de l’épopée nationale : à l’origine, des romans épisodiques, dont les héros ont un tel succès qu’on est amené, pour flatter le goût du public, à raconter la vie entière de chacun et à réunir les aventures de tous en une vaste synthèse. Les auteurs des romans de liaison et de synthèse attribuaient volontiers leurs propres livres à des auteurs déjà célèbres. La contrefaçon consistait alors non pas à inscrire son nom sur l’œuvre d’un autre, mais à inscrire le nom d’un autre sur son œuvre. C’est ainsi que procèdent encore les « fabricants » de tableaux de maîtres. Pour prendre un exemple, l’auteur d’une des continuations du Merlin se donne faussement comme étant Robert de Boron, et, pour accroître son importance, il raconte que le roman du Brait, œuvre d’un certain Hélie, a été composé sur sa demande par Hélie, « qui était son ami et son compagnon d’armes ». Plus tard, l’auteur de Palamède, en commençant son roman,