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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/472

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duquel se dressait un pin superbe. Le duc aimait beaucoup cet arbre, il l’avait fait entourer d’un mur, et c’est là qu’il tenait ses assises. Un jour, il vit avec joie sortir d’une racine un petit pin, et, dans sa hâte de l’enclore aussi, il fit couper des branches au grand pin. Le jeune arbre monta droit comme une flèche, tant qu’il se heurta à une branche et que sa cime dut fléchir un peu. Le duc s’en aperçut ;

La branche était grosse et ramée,
Plus y eut d’une charretée ;
Le puissant duc la fit trancher
Sans hésiter et sans délai.

Désormais le grand pin fut délaissé pour le petit, on lui coupa chaque jour de nouvelles branches, et le petit lui fit la guerre en attaquant sous terre ses racines,

Tant qu’il commença à sécher.
Le puissant duc le fit trancher
Et hors de la place jeter
Et à la pauvre gent donner.
Voici le haut pin verdoyant,
Qu’on trébucha pour son enfant !
Empereur, ainsi ferez-vous ! »

Vespasien, convaincu par ce récit, s’écrie :

« Par Saint Denis !
Je veux que mon fils soit occis. »

Il ordonne de le conduire au supplice, lorsqu’arrive l’un des sept sages qui lui dit : « Si tu fais périr ton fils sur la parole d’une femme, je prie Dieu qu’il ne t’arrive pas ce qui advint au chevalier qui à tort tua son lévrier. — Comment fut-ce ? fait le roi. Beau doux ami, dites-le-moi. — Vous ne l’apprendrez pas, répond le sage, si vous n’accordez à votre fils un répit d’un jour. — J’y consens », dit le roi.

Le sage raconte son histoire, à laquelle la reine en oppose une autre le lendemain. Et il en fut ainsi pendant sept jours[1]. Enfin le jeune prince put parler, et il confondit aisément la reine qui fut condamnée à être brûlée vive.

Ce roman, dont on a diverses rédactions en latin et en prose

  1. L’un de ces récits a fourni à Molière l’idée du dénoûment de Georges Dandin.