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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/481

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presque barbares, imaginées par certains conteurs, et qui n’arrivent pas à lasser la tendresse patiente et l’angélique docilité de la femme aimante.

Sous toutes ses formes, l’amour est une source de perfection morale ; il pousse aux plus nobles prouesses, et s’immole à l’honneur chevaleresque qui commande à l’amant de ne pas s’oublier dans les délices de la passion. Le plus grand sacrifice que la dame puisse demander à son ami, c’est de commettre quelque apparente lâcheté qui n’est jamais, d’ailleurs, qu’une épreuve momentanée.

Nous ne pouvons indiquer ici que les traits les plus généraux de cet amour, en insistant sur ceux qui n’apparaissent pas dans la poésie lyrique, par suite de la différence des genres. Il faut distinguer avec soin l’amour courtois des galanteries passagères auxquelles s’abandonnent les chevaliers qui n’ont pas le cœur pris par une grande passion, galanteries que favorise la coutume d’aller « s’ébattre » dans les jardins où chevaliers, dames et demoiselles se dispersent par couples en se tenant par la main. L’amour courtois est aussi caractérisé par la façon dont il s’analyse et dont il s’exprime : les amoureux étudient curieusement et avec angoisse les états successifs de leur passion, qu’ils détaillent avec préciosité. Nos vieux auteurs en viennent à jouer sur les mots plus encore que sur les idées, et abusent des antithèses et des images, qu’ils n’ont guère le souci de varier. Ce sont là défauts inhérents à tout art qui s’essaie ; mais on trouvera sans doute qu’ils sont bien rachetés par la grâce naïve de tant de scènes exquises, de tant de dialogues vibrants, où s’affirmait déjà l’esprit français, créateur incontesté de la littérature européenne.

Après une brillante période de quatre siècles, le roman disparaît pour un temps de notre littérature ; car le livre de Rabelais est une œuvre tout à fait à part, et les nouvelles du XVIe siècle appartiennent au genre des fableaux. On se contente alors de donner au public des éditions nouvelles des vieux romans de chevalerie, qui ne semblent pas avoir eu un grand succès. Mais à cette époque se répandit en France, sous la forme d’une traduction, fort libre d’allure, un roman espagnol, l’Amadis des Gaules, inspiré d’ailleurs par les romans français de chevalerie,