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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/509

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leçon. Il est donc naturel que l’amour ait été célébré avec le printemps dans les chants qui accompagnent les danses de mai. Le plus ancien de ces chants qui nous soit parvenu n’est pas en français, bien qu’il soit inséré dans un recueil français, le célèbre chansonnier de Saint-Germain. C’est la pièce limousine bien connue qui nous montre la regina avrillosa, la reine de mai, menant la danse avec ses compagnes et en excluant le gelos, c’est-à-dire son mari lui-même et tous ceux qui n’ « aiment » pas. Cette pièce précieuse nous donne bien l’inspiration de ces danses, de ces fêtes qui étaient, on peut le dire, comme les saturnales des femmes, et qui ont le caractère à la fois abandonné et conventionnel qu’indique ce rapprochement. C’est un moment d’émancipation fictive, émancipation dont on jouit d’autant plus qu’on sait très bien qu’elle n’est pas réelle et qu’une fois la fête passée il faudra rentrer dans la vie régulière, asservie et monotone. À la fête de mai, les jeunes filles échappent à la tutelle de leurs mères, les jeunes femmes à l’autorité chagrine de leurs maris ; elles courent sur les prés, se prennent les mains, et dans les chansons qui accompagnent leurs rondes, elles célèbrent la liberté, l’amour choisi à leur gré, et raillent mutinement le joug auquel elles savent bien qu’elles ne se soustraient qu’en paroles. Prendre au pied de la lettre ces bravades folâtres, ce serait tomber dans une lourde erreur ; elles appartiennent à une convention presque liturgique, comme l’histoire des fêtes et des divertissements publics nous en offre tant. La convention, dans les maieroles, dans les kalendas mayas, était de présenter le mariage comme un servage auquel la femme a le droit de se dérober, et le mari, le « jaloux », comme l’ennemi contre lequel tout est permis. Toutes ces pièces ont pour point de départ des chansons de femmes dansant entre elles, s’excitant par l’absence des hommes et couvertes par l’immunité de la fête, par ce qu’on pourrait appeler la libertas maia[1] »

Deux de ces traits, la description du printemps formant un début stéréotypé, et la peinture d’un amour exclusivement coupable se retrouvent également dans la poésie courtoise, tant méri-

  1. G. Paris, op. cit., p. 50.