Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/512

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des provinces de l’Ouest, appartiennent en grande majorité à la seconde génération des trouvères lyriques.

Il résulte de ces faits que ce n’est point, comme on serait tenté de le penser, par une zone intermédiaire entre le Midi et le Nord, le Limousin, la Marche et le Poitou par exemple, que la communication s’est établie entre la poésie des troubadours et celle des trouvères. On s’est demandé si ce fait, si important pour l’histoire littéraire, ne s’était point produit en Terre-Sainte, à la croisade de 1147. Il convient sans doute d’attacher une grande importance à cette expédition, où, pour la première fois depuis cinquante ans, furent rapprochés durant de longs mois les hommes du Nord et ceux du Midi, et à laquelle nous savons du reste que participèrent plusieurs troubadours. Il faut se souvenir aussi que le poète au moyen âge est essentiellement nomade, et que, si les troubadours durent porter leur art jusque dans les provinces du Nord les plus reculées, les trouvères de leur côté purent aller en puiser la connaissance à sa source même[1].

Mais des rapports isolés et intermittents comme ceux-là ne suffiraient point à expliquer la vogue extraordinaire que trouva à un moment précis la poésie méridionale au Nord de la France : il y eut là un de ces engouements tyranniques comme la mode seule peut en produire. L’origine nous paraît devoir en être cherchée à la cour même qui était dès ce moment l’arbitre du bon goût et de l’élégance, c’est-à-dire à celle de Paris, et dans quelques centres provinciaux qui, pour des raisons diverses, subissaient directement son influence.

En 1137, Louis VII épouse Éléonore d’Aquitaine, petite-fille du plus ancien des troubadours connus, et passionnée elle-même pour la poésie courtoise. Nous ne savons si, dans son bref pas-

  1. Nous avons d’assez nombreuses mentions de relations entre des troubadours et des poètes ou seigneurs du Nord et inversement : Bernard de Ventadour séjourna en Normandie à la cour d’Éléonore d’Aquitaine (1152) et Ricaut de Barbezieux à celle de Champagne ; Guiraut de Calanson et Bertran de Born, s’ils ne fréquentèrent point celle de Geoffroi de Bretagne (le protecteur de Gace Brûlé), connaissaient celui-ci personnellement, puisqu’ils font de lui un pompeux éloge. D’autre part, nous voyons Hugues de Berzé adresser une pièce à Folquet de Romans, un certain Andrieu échanger un jeu-parti (rédigé tout entier en français) avec un roi d’Aragon (sans doute Pierre Ier, qui en échangea un, tout en provençal, avec Guiraut de Borneil), et un certain Gaucelm faire de même avec le comte Geoffroi de Bretagne (celui-ci répond en français à des couplets rédigés en provençal).