Aller au contenu

Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/531

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nous retrouvons dans les jeux partis les théories et les formules de la chanson ; mais elles y sont prises en plaisanterie et souvent en charge : il vaudrait mieux ne point les lire si l’on voulait conserver quelque illusion sur la sincérité de nos poètes, et il faut presque se féliciter qu’aucun de ceux qu’avait consacrés l’admiration du moyen âge n’en aient composé. Le genre appartient manifestement à une époque où on ne prend plus au sérieux les idéales conceptions qui avaient enchanté la fin du XIIe siècle, et il présage la ruine de la poésie qu’elles alimentaient. Ce genre est intéressant néanmoins à bien des titres : il est curieux d’abord de voir l’esprit de discussion et de chicane, confiné jusque-là dans les écoles, faire son apparition dans la société laïque. Il serait peut-être imprudent d’y chercher des documents sur les procédés de dialectique du moyen âge : en effet les sophismes et les faux-fuyants, qui n’y sont pas rares, étaient sans doute conformes aux règles du genre. La plupart du temps c’est dans la question posée qu’est la plus grande originalité de la pièce : c’est là surtout que se déployait l’ingéniosité ou que la fantaisie se donnait carrière. Voici quelques spécimens de ces questions : lequel doit faire les plus belles chansons, de l’amant malheureux ou de l’amant favorisé ? De deux maris quel est le plus à plaindre, celui qui a des soupçons, ou celui qui a des preuves ? Doit-on préférer un amour bruyant et public, dans lequel entre la vanité, ou un amour pur et secret, qui n’a d’autre objet que lui-même ? Laquelle aime le mieux, de la dame qui, par prudence, défend à son ami de paraître au tournoi, ou de celle qui lui enjoint d’y briller ? Lequel est préférable pour un amant, de la mort ou du mariage de son amie ? Les questions, comme on le voit, roulent presque toujours sur l’amour ; quelques-unes sont assez scabreuses. D’autres atteignent aux dernières limites de l’extravagance, celles-ci par exemple : de deux amants lequel est le moins malheureux, celui qui perd la vue, ou celui qui perd l’ouïe ? Lequel doit-on préférer, aller visiter sa dame de jour et à pied, ou à cheval par une nuit de neige ? D’autres sont simplement absurdes, comme celle-ci : vaut-il mieux avoir contre soi l’amour et pour soi sa dame ou inversement ? Ce qui fait la véritable valeur des jeux partis, c’est le grand nombre de détails familiers, de locutions pittoresques ou proverbiales, d’al-