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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/533

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mirent fin à la cinquième croisade ; elle est au contraire spirituelle et piquante dans les trois serventois de Huon de la Ferté contre Blanche de Castille et Thibaut de Champagne (no 699, imité du no 1887, 1129, 2062).

Mais la satire personnelle est rare chez nos trouvères : on sent que la poésie n’a jamais été entre leurs mains l’arme redoutable qu’avaient maniée les Bertran de Born, les Guilhem Figueira et les Peire Cardinal. Elle n’est la plupart du temps que le développement assez inoffensif de lieux communs pleins de banalité ; dans la série assez longue des pièces contre l’amour et les femmes, il en est à peine quelques-unes où retentisse l’écho d’un sentiment vrai ou d’un grief personnel.

La satire de l’amour, ou plutôt des théories courtoises de l’amour, avait si complètement passé au rang de lieu commun qu’elle amena la création d’un genre particulier, la « sotte chanson contre Amour[1] ». Ces sortes de productions ne sont le plus souvent qu’un amas d’ordures ou un tissu de coqs-à-l’âne indignes de la moindre attention.

C’est aussi à la parodie que l’on pourrait rattacher une dizaine de pièces bachiques dont quelques-unes sont d’un tour alerte et vif, et qui semblent composées pour la plupart sur le rythme de chansons courtoises en vogue.

Pièces religieuses. — Quelques pièces religieuses, d’un caractère semi-populaire (en ce sens qu’elles étaient destinées à l’édification du peuple), telles que des chansons en l’honneur de saints divers (saint Nicolas, sainte Catherine, sainte Anne) et des « plaintes » de la Vierge au pied de la Croix, ne doivent rien à l’imitation de la lyrique courtoise[2]. Cette imitation règne au contraire dans les chansons très nombreuses composées à partir du commencement du XIIIe siècle, notamment par Gautier de Coinci, en l’honneur de la Vierge, et dont il nous reste environ quatre-vingts ; ce sont en général d’assez plates litanies dont le principal intérêt (quand on peut en retrouver les modèles)

  1. Des pièces de ce genre étaient couronnées vers la fin du XIIIe siècle dans les « puis » de quelques villes du Nord de la France, notamment de Valenciennes. Voir le recueil de J. Hécart.
  2. Sur ces pièces, que nous ne pouvons que mentionner brièvement, voir le Manuel de M. G. Paris, § 159 et suiv. Sur les plaintes de la Vierge au pied de la Croix, voir Wechssler, Die romanischen Marienklagen, p. 64-76, et Romania, XXIII, 576.