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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/539

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artistes raffinés comme le Châtelain de Couci, et Thibaut de Navarre, s’est étendue davantage est naturellement la coda. La formule mélodique contient les deux premiers vers et se répète dans les deux suivants ; plus rarement dans les longues strophes elle va de trois en trois et de quatre en quatre[1], puis elle s’élargit dans la partie qui n’était pas soumise à de semblables entraves et où pouvait mieux se déployer le génie inventif des auteurs. À ce développement de la coda doit avoir contribué l’absence très fréquente dans la poésie artistique du refrain. Quelquefois on trouve dans ces cadences finales de véritables artifices, fort recherchés, comme le retour d’une partie de la formule initiale (ms. St-Germain, 55b : Quant li dus ; 63a : Desconfortez). D’autres fois c’est dans la première partie que l’on constate cette recherche de la nouveauté ; par exemple, on adapte une formule mélodique aux deux premiers vers, et on la répète en tout ou en partie, une tierce plus bas sur les deux vers suivants.

Mais je ne crois pas que ces artifices soient des développements spontanés de l’antique mélodie populaire de la France du Nord. En thèse générale, l’assertion de M. Tiersot reste fondamentalement vraie : « Nous sommes autorisés à conclure que le mouvement musical de l’époque des trouvères dérive immédiatement de la plus ancienne forme de la mélodie populaire française. » Cette vérité résulte de tout ce que nous avons dit sur la structure de la strophe musicale et des nombreux exemples donnés par les auteurs que nous avons cités. Il est probable que l’art musical des troubadours a eu la même origine, mais ici malheureusement il nous manque les mélodies des pièces populaires, car la dansa que nous avons citée est le seul spécimen, exemple caractéristique, qui nous en soit parvenu. Les mélodies des anciens troubadours qui nous restent connaissent en effet le type musical a + a + coda ; par exemple : L’autrier jost’una sebissa de Marcabrun (ms. R, f. 6), Lanquan li jorn son lonc en mai de Rudel (ms. X, f. 81), mais déjà de nombreuses mélodies de Bernart de Ventadour, de Pierre d’Auvergne, la seule qui nous soit restée de Raimbaut

  1. Voir Au tems novel de Perrin d’Angecourt dans l’Histoire de Fétis et en général les exemples musicaux qu’il donne (t. V, 38-45). Les mélodies du Châtelain de Couci sont notées dans l’édition de Francisque Michel et Perne. Paris, 1830 ; celles de Thibaut de Navarre ont été éditées par Lévesque de la Ravallière.