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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/58

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les exemples de déférence donnés plus haut par Postumianus m’obligent à accepter le rôle que vous m’imposez ; mais, quand je pense que je suis Gaulois et que c’est à des Aquitains que j’ai à parler, je crains d’offenser vos oreilles trop polies par mon langage rustisque : vous m’écouterez cependant comme un lourdaud dont le langage ignore le fard et l’emphase. » Comme le lui font très bien remarquer ses interlocuteurs, ce sont là précautions de raffiné et de rhéteur qui se donne des airs modestes et prépare son effet. Aussi, quand il a ajouté quelques phrases encore, toujours du même style, Postumianus l’interrompt et s’écrie : « Tu vero vel celtice, vel si mavis, gallice loquere, dummodo Martinum loquaris. » Comment doit se traduire cette boutade ? On est fort embarrassé d’abord de savoir quelle différence pouvait faire Postumianus entre celtice et gallice loqui. Aucune, à mon sens, et il est bien inutile de s’épuiser en hypothèses historico-philologiques pour expliquer ce jeu de mots. Le beau parleur s’appelle Gallus (Gaulois), on ne l’a pas remarqué. De là une plaisanterie sur son nom : Parle-nous ou celtique ou, si tu aimes mieux, gaulois, pourvu que tu nous parles de saint Martin ! Nous dirions de même à un Wallon qui s’appellerait Liégeois : Parle-nous wallon, ou liégeois, pourvu que tu nous parles de Saint-Hubert[1] !

Là n’est donc pas la difficulté. Ce qu’il s’agit de savoir, c’est s’il faut traduire : Parle-nous celtique ou à la celtique. Et il est vraiment peu aisé de choisir[2]. Au reste, si l’on admettait la première interprétation, encore faudrait-il déterminer quelle importance on peut attribuer à une pareille exclamation : « Parle-nous celtique ! » Est-on en droit de croire, d’après ces mots, que Postumianus, Aquitain, qui ne sait peut-être pas le gaulois, offre sérieusement à Gallus de converser en cette langue ? Si, en pareil cas, impatienté par les excuses d’un interlocuteur, nous lui disions : Assez de précautions, parle-nous même auvergnat,

  1. Ce qui me semble mettre cette interprétation hors de doute, c’est que deux lignes plus loin se trouve une nouvelle plaisanterie sur le nom de Gallus : sed neque monachum tani astutum, neque Gallum decet esse tam callidum. — Ce passage a servi à édifier toutes sortes d’hypothèses ethnographiques !
  2. Ailleurs (Dial., II, 1, 4), Sulpice Sévère oppose un mot gaulois rustique, tripetias, à un mot d’école et de grécisants : tripodas, et ce gaulois rustique n’a nullement l’air d’appartenir au gaulois, mais bien au latin vulgaire.