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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/57

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lettre[1] : Parler patois, c’est parler un dialecte, c’est aussi parler un mauvais français. Du charabia, ce n’est pas seulement de l’arabe, puisque ce sens étymologique du mot — s’il est le vrai — n’a été deviné que tout récemment, mais c’est, d’une manière générale un jargon qu’on ne comprend pas.

Et toutes les époques ont connu de semblables manières de dire. Dans la bouche de Malherbe, presque tout ce qui était mal écrit était gascon. Ce que ses contemporains n’entendaient pas, et que nous baptisons chinois, était pour eux du bas-breton ou du haut-allemand, de même que ce qu’ils n’admiraient pas était gothique. Parler chrétien, qu’on trouve dans Pathelin et ailleurs, n’est guère plus précis. Mais rien ne donne mieux une idée du vague dont on se contente en pareille matière que le non-sens : parler français comme une vache espagnole. Toute défigurée et absurde qu’elle est, la locution suffit, même à des gens instruits, dont il semblerait pourtant qu’ils dussent chercher un sens aux mots qu’ils emploient[2].

Il résulte de ces observations que, même dans les très rares passages où les auteurs nous rapportent comment parlait un individu ou un groupe d’hommes, l’interprétation de leur témoignage reste indécise, et une extrême réserve s’impose pour les conclusions. Ainsi Sulpice Sévère, dans ses Dialogues (I, 26), met dans la bouche d’un interlocuteur l’exorde suivant : Ego plane, licet impar sim tanto oneri, tamen relatis superius a Postumiano obedientiæ cogor exemplis, ut munus istud, quod imponitis, non recusem. Sed dum cogito me hominem Gallum inter Aquitanos verba facturum, vereor ne offendat vestras nimium urbanas aures sermo rusticior : audietis me tamen ut gurdonicum hominem, nihil cum fuco aut cothurno loquentem. « Pour moi, quoique je sois impropre à une si grande tâche,

  1. Un maître, A. Darmesteter, s’est trompé sur le sens que Ronsard donnait au mot latineur, dans un des passages célèbres où il suppliait les écrivains de son temps d’adopter le français. Les latineurs ici sont ceux qui écrivent en latin, mais bien souvent ailleurs latineurs et latiniseurs sont ceux qui farcissent notre langue de latin. Voir A. Darmesteter et Hatzfeldt, Le seizième siècle en France, p. 122 et note 2, éd. 1878, et cf. Ronsard, éd. Blanchemain, III, 35.
  2. On objecterait vainement qu’aux époques lointaines dont il est ici question, les populations avaient d’autre souci que d’examiner la correction d’un langage et que des locutions analogues n’avaient aucune chance de se vulgariser. On observe en effet de nos jours que des gens dépourvus de toute culture, des enfants, des paysans totalement illettrés, se querellent ou se plaisantent sur leur manière de parler ou de prononcer.