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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/60

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éliminer par le slave, que le grec a cédé dans l’Italie méridionale à l’italien, dans la Turquie d’Europe au turc, en Asie à l’arabe et au syriaque, que le copte, le punique et le grec ont été chassés par l’arabe du nord de l’Afrique, etc., etc. L’histoire même du français fournirait des faits analogues : n’a-t-il pas cédé à des dialectes germaniques une bande de terrain de la rive gauche du Rhin et une bonne partie du territoire de l’ancienne Belgique, tandis qu’il conquérait au contraire des pays primitivement bretons ou basques, et tout ce qui de la Normandie était devenu danois ? Et l’Irlande actuelle met sous nos yeux un exemple tout à fait frappant de la disparition d’une langue vaincue par une autre. Malgré le mouvement nationaliste et autonome qui y a été si intense, le nombre des indigènes parlant irlandais se réduit avec une grande rapidité ; et certains ont déjà osé prévoir, peut-être prématurément, le jour où on notera la mort de la dernière femme parlant irlandais, comme on a noté la mort de la dernière qui a parlé cornique.

Il n’en est pas moins vrai que l’abandon de son langage est un des derniers sacrifices qu’on obtienne d’une population. Même quand le patriotisme n’entre pas en jeu, l’habitude et la tradition défendent l’idiome indigène, et avec quelle force ! Il suffit pour s’en rendre compte de voir combien les parlers provinciaux reculent lentement devant le français. Déchus depuis des siècles de leur rang d’idiomes littéraires, exclus de l’Église, proscrits par l’État, ils ne s’en perpétuent pas moins, transmis par les mères aux enfants avec les premières caresses. Et si leur défaite semble aujourd’hui s’annoncer définitive, il a fallu pour assurer ce résultat les moyens extraordinaires dont on dispose de nos jours, l’école, le service militaire obligatoire, la centralisation administrative et littéraire, les communications rapides, la presse quotidienne.

Il est donc plus que douteux, a priori, que dans les conditions si différentes où le latin a été aux prises avec les langues de la Gaule, celles-ci aient cédé si vite, et qu’en un siècle, comme le voudraient quelques-uns, Rome ait changé le parler de plusieurs millions d’hommes.

Le mouvement d’assimilation fut visiblement plus rapide dans la Narbonnaise que dans le reste de la Gaule. La popula-