Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/66

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de cette hiérarchie, étant la langue du pouvoir central et de ses représentants, de la loi et de l’administration.

D’autre part la civilisation latine, alors dans tout son éclat, devait exercer son ascendant sur une race passionnée de culture, à l’esprit souple, à la fois disposée et apte, comme dit César, à imiter et à produire ce que chacun lui enseignait[1]. Ce que nous savons, soit par les auteurs anciens, soit par les découvertes de l’archéologie, nous permet de l’affirmer, le mouvement qui entraîna les villes de Gaule vers les arts, les sciences et les mœurs romaines fut très rapide et très étendu. Au temps d’Ausone, chaque ville de quelque importance avait une sorte d’université, et certaines d’entre elles étaient ouvertes depuis plusieurs siècles. Déjà, soixante-dix ans après la conquête, quand le révolté Sacrovir veut de jeunes nobles pour otages, il va les prendre dans les écoles d’Autun[2]. Poitiers, Toulouse, Reims devinrent à leur tour des centres d’études. Aussi, quand Tacite fait dire à Claude que les Gaules étaient pénétrées des mœurs et de la civilisation romaines, il ne sort pas de la vraisemblance[3].

Or il est évident que la première chose dont vous instruisaient tous les maîtres, c’était le latin ; c’est dans le latin qu’on apprenait à lire[4], c’est assez dire qu’il était la base de l’éducation. Les jeunes gens des classes élevées le savaient donc, cela n’est pas douteux. De là à l’adopter exclusivement, il n’y avait qu’un pas, et on comprend comment la vanité, le désir de sortir de la foule amenait les élégants à le franchir. Quand un fils d’Atepomaros prenait le nom de Cornelius Magnus, comment eût-il parlé gaulois, et gâté par son langage l’effet que produisaient son nom et son costume ? C. Julius Vercondaridubnus, prêtre de César, ne pouvait non plus prier le dieu son patron qu’en latin. Changer de langue, c’était la condition nécessaire pour réaliser les deux grands désirs des riches de tous les temps : arriver et paraître.

Mais la véritable difficulté subsiste. Quand et comment cette

  1. Cæs., Bel. gal., VII, 22.
  2. Tac., Ann., II, 43.
  3. Id., Ann., XI, 24.
  4. Quelquefois en grec, jamais en tout cas en celtique.