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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/67

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habitude de parler latin s’étendit-elle de cette aristocratie, si nombreuse et si puissante qu’on la suppose, aux classes inférieures et aux populations rurales ? Quand gagna-t-elle les femmes, de qui dépend la diffusion d’une langue, puisque ce sont elles qui en font la langue maternelle ?

Pour répondre à ces difficiles questions, il faudrait savoir comment étaient répartis et groupés les habitants de la Gaule sur le territoire, comment la propriété était divisée entre eux, bref, avoir sur l’état social des populations des renseignements qui nous manquent. Nous entrevoyons seulement, d’après quelques indications de la géographie historique, que de vastes étendues de terrain étaient encore occupées par des marécages ou couvertes d’immenses forêts, et par conséquent à peu près désertes. Nous savons aussi que la terre, loin d’être morcelée entre des travailleurs libres, était placée entre les mains de gros propriétaires, qui groupaient leurs ambacts et leurs colons autour de leurs villas. Beaucoup de nos villages actuels remontent à ces agglomérations primitives.

Ainsi établis aux champs, ces grands propriétaires romanisés, parmi lesquels se recrutaient les corps municipaux, devaient avoir sur la population rurale, qui était en contact immédiat et fréquent avec eux, une influence beaucoup plus considérable que ne l’aurait eue une aristocratie citadine sur le paysan isolé dans sa ferme, et des exemples venus à la fois de haut et de près étaient sûrement efficaces et contagieux.

Il ne faut pas oublier non plus que cette population devait être en grande partie composée d’esclaves, le nombre de ceux-ci ayant été plus tard très considérable, sans qu’on puisse attribuer ce résultat à la domination des Germains, qui n’avaient pas pour système de réduire en servitude les populations vaincues. Or, ces esclaves, achetés sur les marchés, et venus de tous les points du monde, faute de s’entendre entre eux dans leur propre langue, apprenaient tous la même, le latin du maître, comme les nègres ont appris en Amérique le français, l’anglais ou l’espagnol.

Enfin toute la plèbe qu’on enrôlait dans les armées des frontières trouvait là l’occasion de se familiariser avec la langue latine. Les femmes que les soldats pouvaient appeler auprès de leurs cantonnements, les enfants qui leur naissaient, et qui