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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/97

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LXIII
ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

même pas la plus vraisemblable, elle n’est néanmoins pas antirationnelle, même dans ce dernier cas, l’identité des faits n’étant, je le répète, nullement une preuve de l’identité de la cause.

En dehors de ces faits, il en est un encore, et très important, pour lequel M. Meyer-Lübke admet, sans trop de scepticisme, une origine celtique, c’est la tendance générale des voyelles françaises à la nasalisation. Non pas, bien entendu, que les voyelles latines aient été du premier coup infectées toutes ensemble ; l’histoire de la nasalisation est fort longue. Il n’en paraît pas moins visible, par la géographie même du domaine où il se rencontre, que ce phénomène, si important dans notre histoire phonétique, est limité aux pays celtiques, et qu’il a commencé sous l’influence des parlers indigènes.

En ce qui concerne le vocabulaire, la provenance celtique de certains mots, du reste peu nombreux, est assurée. Les anciens nous en ont signalé qui avaient pénétré en latin, et que les langues romanes ont conservés[1]. Alauda = v. fr. aloe, d’où alouette (prov. : alauza, esp. aloa, aloeta ; ital. : allodola, lodola, alodetta) ; arepennis = fr. arpent (prov. : arpen-s ; v. esp. : arapende) ; becco = fr. bec (prov. : bec-s, beca ; ital. : becco ; catal. : bech) ; benna = fr. benne (ital. : benna, benda) ; braca, fr. braie (prov. : braya ; ital. : braca ; esp. : braga)[2] ; cervisia = fr. cervoise (prov. : cerveza, ital. : cervigia ; esp. : cerveza ; port. : cerveja), leuca = fr. lieue (prov. : legua, lega ; cat. : llegoa ; esp. : legua ; port. : legoa). On pourrait en citer quelques autres : bras (d’où brassin, brasser), palefroi, vautre, d’où vautrait.

En outre, nous avons en français d’autres mots, tels que breuil, camus, combe, dune, dru, grève, jambe, jarret, lie, mine, roie, petit, pièce, tarière, truand, vassal, dont l’origine celtique, sans être attestée, peut être considérée comme à peu près établie.

Je rangerais volontiers dans une troisième catégorie ceux qui, comme briser, broche, bruyère, dartre, gober, jante, claie, trogne, ont été rapportés au même fonds avec beaucoup de

  1. Le roumain est à part, sous ce rapport, ce qui semble bien venir à l’appui de l’opinion soutenue plus haut, que le latin n’était pas partout identique. Il y a bien des chances pour que ces mots aient toujours manqué au parler des colons établis vers le Danube, tandis qu’ils étaient courants ailleurs.
  2. Celui-ci existe en roumain.