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visible, que les recherches modernes sur le moyen chypriote permettent de réfuter[1]. Ici comme partout ailleurs dans les pays grecs, c’est de l’italien, qui était la langue du commerce et qui d’autre part, grâce à son système phonétique, se prêtait mieux que le français à être transcrit et naturalisé en grec, qu’on a tiré le plus grand nombre de vocables. On en trouve toutefois, dans les textes du moyen âge, un assez grand nombre qui viennent de France[2]. Et le chypriote contemporain en conserve même quelques uns, comme κουμανταρκά, la commanderie (nom d’une partie de l’île), περροῦνιν, le perron (grosse pierre), τζαέρα (la chaire, auj. chaise), μπρότζα (broche, fourchette), derniers témoins d’une influence que l’abandon de l’île aux Vénitiens fit officiellement cesser en 1489, mais qui longtemps auparavant n’était plus prépondérante, ni même effective.

Dans ces différentes rencontres, le français eut, de son côté, l’occasion d’emprunter des mots nouveaux, et d’augmenter ainsi son fonds grec, très restreint jusque-là. Le commerce avec l’Orient en avait déjà amené quelques-uns : besant, chaland, dromond, qu’on rencontre dans le Roland ; cadable, caable, primitif de accabler (καταϐολή, machine à lancer des traits), se lit aussi dans le même texte. Des écrivains, qui connaissaient le grec, en emploient d’autres : Dyssenterie, hippodrome, monocère, rhinocéros, théâtre sont francisés par le traducteur de Guillaume de Tyr, L’Estoire d’Eracles fournirait quelques grécismes ; en particulier une ample collection de mots pour signifier serpent : cersydre (χέρσυδρος), chelindre (χέλυδρος), cycalex (σκυτάλη), dipse, édype (διψάς), emorroiz (ἀμορροΐς) (on y trouve aussi ydiote ou ydoiste (ἰδιώτης), filatière (φυλακτήριον). Le lyonnais Aymon de Varenne, qui avait longtemps habité Philippopoli, va plus loin,

    savait le français, comme cela résulte du témoignage de Bertrandon de la Brocquière (dans Mas. Latrie, Hist. de l’île de Chypre, III, 1855, p. 3).

  1. V. Gustave Meyer, Romanische Wörter im kyprischem Miltelgriechisch, dans le Jarbuch für romanische und englische Sprache und Litteratur. Nouv. série, III, et Baudouin, Le dialecte chypriote, Paris, 1883, p. 19.
  2. ἀϐίς (avis), ἀϐαντάτζιον (= avantage), ἄλπιτρος (= arbitre), ἀξαμινιάζω (examiner), γρίζα (grise), δαμοῦ (= dame), κάς (cas), κεστίουν (= question), κίτες (quitte), κουμεντούρης (commandeur), κουμερσάρης (= commissaire), λόκετ (= loquet), μαρκίς (marquis), οὔ (= ou), ὀπενιούν (= opinion), παϊζιον (= pays), πούδρα (= poudre), πουκλέριν (= bouclier), πρεζουνιέρης (= prisonnier), προϐιζιούν (= provision), ῥέντα (= rente), ῥελητζιοῦν (= religion), ῥεσπίτ {= esprit), στιλιέρης (= hostelier), φέρμε (= ferme), φρέρε (frère).