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tantôt c’est la forme atone qui l’emporte, on rencontre : trouve, laboure, ploure, erre, ame, pese ; tantôt c’est la forme tonique, et poisant, treuvons, aima remplacent pesant, trouvons, ama. Ce n’est pas la fin du système[1], il a vécu longtemps après et il dure encore en partie ; néanmoins les alternances commencent dès lors à se dérégler fréquemment.

Désorganisation de la déclinaison. — Enfin, dans l’ensemble, toutes les parties du discours où la déclinaison s’était maintenue sont atteintes à la fois par la désorganisation, puis la chute totale du système. De bonne heure on trouvait des formes du régime, là où on eût attendu celles du sujet. Cependant c’est à la fin du XIIIe siècle seulement que les exemples de cette dérogation aux règles commencent à devenir assez fréquents. Dans la seconde moitié du XIVe, la distinction des cas paraît, sauf dans la région du Nord[2]. à peu près complètement effacée. Ceux qui écrivent rencontrent encore les anciennes formes sous leur plume, mais sans se rendre bien compte de leur valeur[3].

Bientôt même la période de confusion cessera, l’article, le nom, les adjectifs pronoms possessifs, les indéfinis ne garderont que le cas régime[4]. Ailleurs même le système, en apparence intact, sera bien entamé. Ainsi les pronoms personnels conserveront la faculté de se décliner, mais dès le XIVe siècle le cas sujet commencera à être chassé de ses emplois ; les démons-

  1. Deschamps écrit régulièrement queurt, aim, lieve, treuvent, seuffre, recueuvre, seult, et amons, plouvoir, plourer, demourra, armera, etc.
  2. Au Ier livre de Froissart (éd. Siméon Luce) les règles anciennes sont presque toujours observées, sauf que les imparisyllabiques sont ramenés à des parisyllabiques : niés, neveu est décliné, neveus, neveu ; sire et seigneur, sont traités comme deux mots différents qui prennent chacun le s au nominatif (Cf. contes, conte). Au livre II (tome IX de l’éd. de la Société de l’histoire de France) les irrégularités deviennent beaucoup plus nombreuses : on trouve des sujets singuliers sans s, capitaine (p. 4) mort (p. 22), boin (p. 23) ; des régimes avec s : le roi ses oncles (p. 6), au pluriel, des sujets pluriels avec s : là furent ordonnés quatre contes (p. 28), li Escot estaient logiés (p. 45).
  3. Le scribe de Joinville écrit encore seigneur (nom. plur. éd. Mich. p. 4), tuit li autre chevalier (p. 10), li roys (p. 13), li mestres (p. 14). Oresme conserve aussi des traces, mais peu nombreuses du cas-sujet : Eustache Deschamps présente une très grande incertitude. Dans une pièce qui est sans doute de 1369, il écrit encore chiens, lyons au sujet singulier (p. 69), dans la suivante, qui est de 1375 : chien, coq (p. 71). Souvent la contradiction éclate d’une ligne à l’autre, ou dans la même phrase. Ex. p. 91 : Princes et rois, duc, chevalier mondain. Soyez piteux. p. 89-90.
  4. Le scribe de Joinville substitue déjà constamment son, mon, ses à ses, mes, sui (V. p. 1, 25, 11, 36, 49, 94, de l’éd. Michel) ; il emploie indifféremment pour li : le (76, 19, 31) ; pour chascuns : chacun (74).