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LA RENAISSANCE

Si c’est posséder la culture latine que d’avoir en main les textes latins, les lire, en comprendre à peu près les mots, le jugement de J.-V Le Clerc est rigoureusement exact. La littérature française au Moyen Age est comme saturée des souvenirs de l’antiquité latine, et même à travers le latin, reçoit quelques échos de l’antiquité grecque. « Ceux qui ont dit que l’on ne connaissait avant l’imprimerie que très peu d’auteurs anciens et se sont amusés à en compter quatre-vingt-seize [ce serait déjà quelque chose) n’ont pas bien compter. Les poètes surtout, Virgile, Ovide, Lucain, sont allégués à tout moment. Les écrivains en prose sont moins lus ; encore parmi les plus célèbres nous ne voyons guère que Tacite qui paraisse oublié[1]. » Cicéron, en revanche, est cité partout, connu presque en entier. Accordons que les témoignages, les souvenirs, l’autorité des anciens a hanté l’esprit et encombré les ouvrages des hommes du Moyen Age. Il n’en demeure pas moins vrai, contre les conclusions de J.-Y, Le Clerc, que l’Antiquité (je ne parle pas de l’antiquité grecque ; Aristote lui-même, étudié à travers le latin, l’arabe, l’hébreu, et les gloses sans fin des commentateurs, n’était plus un grec, un ancien, n’était plus Aristote), mais l’antiquité même latine, avait été mal connue au Moyen Age parce qu’elle avait été mal comprise : ni la pensée, et le raisonnement scientifique ou philosophique des anciens n’était profondément pénétré : ni la beauté esthétique de leur forme et de leur style n’était vivement sentie et goûtée. On les admirait, même à l’excès, sur parole ; on leur prêtait, de confiance, toute sagesse et toute vertu ; on était modestement convaincu de leur supériorité sur les modernes ; un écrivain du Moyen Age ne croit avoir tout à fait raison que lorsqu’il peut citer un ancien à l’appui de son opinion. Mais toutes les preuves qu’on pourra donner du profond respect du Moyen Age envers l’Antiquité, n’empêcheront pas que l’opinion vulgaire ne soit encore la plus vraie : le Moyen Age a ignoré l’Antiquité. Pour la connaître, ou du moins pour la comprendre, il lui a manqué d’abord le sentiment historique des choses. Le Moyen Age s’est toujours représenté le monde à toutes les époques, tel, à peu près, qu’il le voyait. Comme un

  1. J.-V. Le Clerc, id., ibid.