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LA RENAISSANCE

en France, est française et nationale[1] ; que chez Rabelais, Henri Estienne, Montaigne, Pasquier, même chez les poètes, même dans la Pléiade, on rencontre bien des choses qui sont purement indigènes, sans appartenir, pour cela, à la tradition propre du Moyen Age. Cette renaissance proprement française, on en a distingué l’œuvre et l’esprit dans l’histoire de l’art ; beaucoup moins dans l’histoire des lettres ; parce qu’ils y sont, en effet, plus mêlés d’éléments empruntés. Aucune œuvre de la Renaissance, en prose ou en vers, n’est purement indigène ; mais il y a des éléments bien français jusque dans les Odes pindariques de Ronsard.

Ronsard n’apparaît pas avant le milieu du siècle. Avant lui la Renaissance existe et fleurit, mais sous une forme assez différente de la forme purement artiste que la Pléiade voudra lui donner. Chez nous la Renaissance fut d’abord érudite ; elle reprit la tradition au point où l’avaient laissée, cent ans plus tôt, les premiers humanistes dont nous parlions tout à l’heure, ceux du temps de Charles V et de Charles VI. Elle n’a pas, non plus qu’eux, un sentiment très délicat de l’art antique ; et toutefois c’est bien dans sa forme que les humanistes chérissent surtout l’antiquité.

L’humanisme[2] vénère et fréquente les anciens comme une école où l’on apprend à polir, orner, assouplir son propre esprit dans le commerce des plus beaux génies que le monde ait jamais connus. À ce régime, on devient plus homme, et « honnête homme », ainsi qu’on dira bientôt (Humaniores litteræ). Mais l’humaniste ne se croit pas obligé de pénétrer, jusqu’au fond de la pensée antique ; et encore moins d’y adhérer ; la plupart du temps, il demeure chrétien, chrétien sincère. Il s’efforce de penser comme saint Paul ou saint Augustin ; mais il voudrait écrire comme Platon ou Cicéron.

Tel me semble l’état d’esprit d’un Guillaume Budé au commencement du XVIe siècle. Budé ne veut pas du tout ébranler le

  1. On a bien exagéré l’influence que les Grecs venus de Constantinople en Occident après la conquête turque oui pu exercer sur le mouvement de la Renaissance. L’histoire en nomme à peine une dizaine, dont plusieurs furent d’assez pauvres hères sans talent ni notoriété.
  2. Le mot est tout moderne, si la chose est ancienne. Il manque encore dans le Dictionnaire de Littré, même au Supplément.