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LA RENAISSANCE

christianisme : il veut l’orner, pour le fortifier : si la théologie a pour objet d’exposer les choses de Dieu, il croit que l’éloquence peut les embellir. « En affectant de la mépriser et de la dénigrer, quelques-uns espèrent caché leur lourde rusticité, leur honteuse barbarie… Qui empêche aujourd’hui que les bonnes lettres, l’antique érudition, la philosophie soient transportées des poètes aux prophètes sacrés ; des fables impies dans l’histoire des vérités éternelles ; des mystères menteurs d’Éleusis dans l’interprétation de la vrai sagesse, à présent révélé aux mortels ? L’Antiquité a pu recommander par le bien dire, des fins et des biens temporels, et faire qu’on s’y attachât. Quoi d’absurde à faire valoir l’importance des biens et des maux éternels par le même mérite du style ou de la parole[1] ? » N’est-ce pas là, au fond, la doctrine même de saint Basile (dans son fameux traité sur l’étude des auteurs profanes) ? et Budé lui-même fait ce rapprochement (dans ses Annotations sur les Pandectes). La Renaissance, après mille ans écoulés, reprenait les choses au point où les premiers chrétiens les avaient trouvées au lendemain de leur victoire sur le paganisme. Elle disait, après saint Basile : il faut orner par tous moyens l’esprit de l’homme, il faut former son cœur par le concours de tout ce qui est bon et beau ; il faut associer les lumières naturelles aux vérités révélées.

Que chez quelques-uns ce langage fût un artifice et cachât une hostilité secrète contre le christianisme, il est possible. Mais chez la plupart, ce désir de concilier le culte de l’antiquité avec la religion, Socrate avec l’Évangile et la mythologie avec la théologie, était parfaitement sincère ; et il ne faut pas se hâter de le déclarer chimérique et vain, s’il est vrai que l’œuvre magnifique du XVIIe siècle repose en grande partie sur cette conciliation de la tradition profane et de la tradition (chrétienne, sur cet harmonieux mélange d’une double antiquité[2].

  1. De studio litterarum recte et commode instituendo.
  2. On est aujourd’hui beaucoup trop porté à croire que la religion avait perdu, au commencement du XVIe siècle, une grande partie de son empire sur les hommes. Un récent historien de la Réforme et de la Renaissance écrivait naguère avec plus de vérité : l’attachement à la religion « c’est le point d’honneur que le Moyen Age a su inscrire dans toutes les âmes ; il est encore tout-puissant au XVIe siècle. Si le Moyen Age a fait de la chevalerie une sorte de religion des nobles, il faut bien convenir qu’il a produit une autre merveille : il a su faire de la religion une sorte de chevalerie du peuple : manants ou lettrés, jeunes et vieux, femmes et enfants, tous sont égaux par le baptême et par le catéchisme ; et tous savent qu’un chrétien meurt pour sa foi. Si c’est là un préjugé, il est de noble origine. L’humaniste de la Renaissance ne s’en est pas affranchi ; peut-être reculera-t-il devant la torture et le bûcher, mais, à moins d’être un cynique bouffon, il ne s’en glorifiera pas. (F. Huisson, Sébastien Caslellion, Paris, Hachette, 1891, p. 91.) L’auteur fait ici allusion à Rabelais, qui, comme on sait, se déclarait prêt à soutenir ses opinions jusqu’au feu exclusivement. Mais en effet beaucoup d’humanistes eurent moins de prudence, ou plus de courage, soit du côté des catholiques, soit du côté des réformés.