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Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 2.djvu/178

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HISTOIRE

trop : n’aussi les jeunes gens : Vous en faites peu, comme dit est devant.

Cy après oirrez[1] ung enseignement que le bon Roy me donna à congnoistre. Quant nous revenions d’oultre mer, et nous estant devant l’isle de Chippre, par ung vent qu’on appelle garbun[2], qui n’est pas des quatre maistres vens regnans en mer ; que nostre nef hurta et donna ung grant coup à ung roc, tellement que les mariniers en furent tous esperduz et tous desesperez, en dessirant leurs robbes et leurs barbes, le bon Roy saillit[3] hors de son lit tout deschaux, une cotte vestuë, sans plus, et se alla getter en croiz devant le corps precieux de nostre Seigneur, comme celui qui ne attendoit que la mort. Et tantost après se appaisa le vent. Le landemain me appella le Roy, et me dit : « Senneschal, sachez que Dieu nous a monstré une partie de son grant povoir ; car ung de ces petiz vens, que à peine le sceit-on nommer, a cuidé noyer le roy de France, sa femme, enfans, et famille. » Et dit saint Anceaume, que ce sont des menasses de nostre Seigneur, ainsi que si Dieu vouloit dire : Or voyez et congnoissez que si j’eusse voulu permettre tous fussiez noyez. Et le bon Roy respont : « Sire Dieu, pourquoi nous menasses-tu ? Car la menasse que tu nous faiz n’est point pour ton preu[4], ne pour ton advantage : et si tu nous avoys tous perduz, tu n’en seroys ja plus pouvre ; et aussi si tu ne nous avoys tous perduz, tu n’en serois ja plus riche. Donques la menasse de toy

  1. Oirrez : vous entendrez.
  2. Garbun : du sud-ouest.
  3. Saillit : sauta.
  4. Preu : profit, avantage.