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SUR DU GUESCLIN.

servy dans ses troupes dans les dernières guerres. Il luy demanda d’où venoit qu’il étoit à pied, quel étoit son sort et où il alloit coucher. Cet homme luy répondit qu’il retournoit sur ses pas à Bordeaux pour se remettre en prison, faute d’avoir trouvé de l’argent pour payer sa rançon. Bertrand, ayant pitié de ce misérable, et combien te faut- il[1] ? luy dit-il. L’autre l’assura qu’avec cent livres il seroit entièrement quite et déchargé. Bertrand commanda sur l’heure à son valet de chambre de luy compter non seulement cent livres, mais encore autres cent pour se monter et s’armer, disant qu’il connoissoit ce cavalier pour être un bon vivant, et qu’il le pouroit bien servir encore dans les guerres à venir ; qu’il le manderoit pour cet effet quand il en seroit temps. Le pauvre homme, tout transporté de joye, donna mille benedictions à son liberateur, luy promit de le suivre jusqu’au bout du monde, et qu’il ne vouloit avoir à l’avenir aucun usage de la vie, que pour l’employer et la sacrifier à son service. Il l’assura qu’en luy donnant cette somme, dont il venoit de le gratilier, il l’avoit tiré des mains d’un bourreau qui l’avoit tenu quinze jours entiers les fers aux pieds.

  1. « Combien te faut-il, dist Bertran ? Sire, il me fault cent frans. Ce n’est pas moult, dist Bertran. Avécques ce t’en faut-il cinquante pour avoir un bon cheval, et autres cinquante pour toy armer. » Adonc commanda Bertran à son chambellan. « Baillez lui deux cens frans, que je lui donne. Il est bon homme d’armes, et le congnois bien. Si me vendra servir quant j’en auray besoing. Sire, dist l’escuier, Dieu vous doint bonne vie et longue. Vous m’avez délivré d’un très-mauvais glouton, qui bien m’a tenu l’espace de trente jours les grezillons és doiz, et les fers aux jambes. » (Ménard, p. 306.)