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SUR DU GUESCLIN.

sa vie, il vouloit risquer son propre sang pour conserver sa réputation. Guesclin s’appercevant que la fidelité de cet homme ne pouvoit être ébranlée par les persuasions et les remontrances, jura que jamais ne partirait d’illec, si aurait ledit châtel à son plaisir. Il donna donc tous les ordres necessaires pour en venir à l’assaut, qui fut fort violent ; mais la resistance des assiegez fut si vigoureuse, que les gens de Bertrand furent repoussez avec quelque perte. Cette disgrace le toucha si fort, et luy donna tant de mortification, qu’il en tomba malade dans sa tente, sans pourtant discontinüer le siege qu’il avoit commencé, ny lever le piquet de devant la place. Le mal se rengregeant insensiblement, luy fit bientôt connoître qu’il ne releveroit point[1] de cette maladie.

Ce grand cœur qu’il avoit fait paroître dans touttes les occasions les plus dangereuses qu’il avoit essuyées dans sa vie, ne se démentit point dans cette derniere heure, dont l’approche ne fut point capable de le faire pâlir ; et comme il avoit toûjours eu pour son Dieu des sentimens fort religieux, n’étant pas moins bon Chrétien que fidelle sujet de son prince, il se fit apporter le viatique, après avoir purifié tous ses déreglemens passez par les larmes de la pénitence. Il édifia tous les chevaliers dont son lit étoit environné, par les dernières paroles qu’ils entendirent prononcer à ce

  1. Si avint par la volenté de Dieu, lequel a ordonné à toutes choses ayans commencement avoir fin aux tenues establiz, que l’on ne puet passer, comme dit en une epistre monsieur saint Jehan evangeliste, certaine maladie prist à Bertran, lui estant audit siege, de laquelle il ala en brief temps de vie à trespassement. (Ménard, p. 538.)