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ANCIENS MÉMOIRES

jura saint Yves qu’il ne sortitoit point de là qu’il n’eût emporté ladite abbaye, dans laquelle il vouloit souper le soir même et y rétablir les religieux avec leur abbé. Cet homme intrépide n’eut pas plûtôt descendu de la tour qu’il assembla tous ses gens, qu’il avoit dispersez dans les villages tout autour, et leur ordonna de se tenir prêts pour marcher au premier son de la trompette. Il leur commanda de faire provision de cent échelles, au moins. Galeran voulut faire transporter par charroy quelques machines de guerre, pour tâcher d’entamer les murailles épaisses de cette abbaye ; mais Bertrand luy declara qu’il n’en avoit pas de besoin ; que cela les tiendroit trop longtemps et qu’il choisiroit une voye si courte qu’il esperoit le soir même boire de fort bon vin dans la même abbaye.

Sa maxime étoit, avant que d’attaquer une place, de parler toûjours au gouverneur, afin qu’en l’intimidant et le menaçant, il pensât plus de deux fois au party qu’il avoit à prendre. Il s’approcha donc des barrieres, et dit au commandant qu’il eût à luy rendre le fort au plûtôt, et que s’il prétendoit arrêter une armée royale devant sa bicoque, il luy en coûteroit la vie, qu’il luy feroit perdre sur un gibet. Le commandant ne tint pas grand compte de tout ce discours, et luy répondit fierement qu’il ne trouveroit pas à cueillir des lauriers en France, si facilement qu’il avoit fait en Espagne, et que bien qu’il fût ce redoutable Bertrand dont tout le monde parloit avec tant d’estime, il esperoit luy faire une resistance si forte qu’on seroit à l’avenir moins prevenu en sa faveur. Cette repartie choqua fort Guesclin, qui fit aussitôt sonner la trompette, combler les fossez de terre et de feuilles,