Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 37.djvu/68

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nistre ; il crut que j’étois contre ses intérêts, puisque je paroissois prendre part à la disgrâce d’une personne qui lui étoit si opposée. Je n’entrois néanmoins dans nulle cabale ; mes intentions étoient droites, et la pitié seule me faisoit agir. Je ne laissai pas le soir de retourner voir madame de Hautefort, qui, pour avoir voulu paroître forte, avoit tellement renfermé en elle toute sa douleur et sa foiblesse, qu’elle l’avoit pensé faire mourir. Son mal fut si violent qu’elle n’avoit pu sortir de sa chambre, selon le commandement qu’elle en avoit reçu. Nous la trouvâmes, le commandeur de Jars, mademoiselle de Beaumont, ma sœur et moi, dans un état pitoyable. Son cœur, qui n’avoit pas seulement soupiré tout le jour, renonçant par force à la fierté dont il avoit voulu paroître rempli, étoit par sa douleur si étouffé, si saisi et si abandonné à son ressentiment, que je puis dire avec vérité n’avoir jamais rien vu de pareil. Elle sanglotoit d’une manière si sensible, qu’il étoit aisé de juger qu’elle avoit beaucoup aimé la Reine, que sa disgrâce étoit dure, et qu’elle ne l’avoit pas prévue. Nous la consolâmes le mieux que nous pûmes. Nous aurions fort souhaité que la Reine eût été capable de s’adoucir et de lui pardonner ; mais le lendemain, étant un peu remise et même soulagée par deux saignées qu’il lui fallut faire la nuit, elle sortit du Palais-Royal, regrettée de tout le monde. Car comme la disgrâce sans crime a cela de propre qu’elle détruit l’envie dans l’ame des ennemis, et les fait passer aisément de la haine à la pitié, elle augmente l’amitié dans celle des amis, qui sont assez honnêtes gens pour aimer la générosité et excuser les fautes que fait faire une vertu si extraor-