je voyois encore mieux qu’il y a des conjonctures où la prudence même ordonne de ne consulter que le chapitre des accidens.
Saint-Ibal étoit botté pour partir, lorsque M. de Châtillon[1] arriva chez moi, et me dit en entrant que M. le prince, qu’il venoit de quitter, devoit être à Ruel le lendemain. Il ne me fut pas difficile de le faire parler, parce qu’il étoit mon parent et mon ami ; il haïssoit de plus extrêmement le cardinal. Il me dit donc que M. le prince étoit enragé contre lui ; qu’il étoit persuadé qu’il perdroit l’État si on le laissoit faire qu’il avoit en son particulier de très-grands sujets de se plaindre de lui ; qu’il avoit découvert à l’armée que le cardinal lui avoit débauché le marquis de Noirmoutier[2], avec lequel il avoit un commerce de chiffres pour être averti de tout à son préjudice. Enfin je connus, par tout ce que me dit Châtillon, que M. le prince n’avoit nulle mesure particulière avec la cour. Je ne balançai pas, comme vous pouvez imaginer ; je fis débotter Saint-Ibal, qui faillit à enrager ; et quoique d’abord j’eusse résolu de contrefaire le malade pour n’être point obligé d’aller à Ruel, où je ne croyois pas de sûreté pour moi, je pris le parti de m’y rendre un moment après que M. le prince y seroit arrivé. Je n’appréhendois plus d’y être arrêté, parce que Châtillon m’avoit assuré qu’il étoit fort éloigné de toute pensée d’extrémité, et parce que j’avois tout sujet de prendre confiance en l’honneur de son amitié. Il m’avoit sensiblement obligé, comme vous avez vu, à