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DU CARDINAL DE RETZ. [1649]

leuse, et je trouvai dans mes amis une opposition extraordinaire, parce qu’ils crurent que j’y courois un grand péril : mais je leur fermai la bouche, en leur disant que tout ce qui est nécessaire n’est pas hasardeux. J’allai coucher à Liancourt, où le maître et la maîtresse de la maison[1] firent de grands efforts pour m’obliger à retourner à Paris ; et j’arrivai le lendemain à Compiègne au lever de la Reine.

Comme je montois l’escalier, un petit homme habillé de noir, que je n’avois jamais vu, et que je n’ai jamais vu depuis, me coula dans la main un billet où étoient ces mots en grosses lettres : Si vous entrez chez le Roi, vous êtes mort. J’y étois, il n’étoit plus temps de reculer. Comme je vis que j’avois passé la salle des gardes sans être tué, je me crus sauvé. Je témoignai à la Reine que je venois l’assurer de mes obéissances très-humbles, et de la disposition où étoit l’église de Paris de rendre à Leurs Majestés tous les services auxquels elle étoit obligée. J’insinuai dans mon discours tout ce qui étoit nécessaire pour pouvoir dire que j’avois beaucoup insisté pour le retour du Roi. La Reine me témoigna beaucoup de bonté et même beaucoup d’agrément sur ce que je lui disois ; mais quand elle fut tombée sur ce qui regardoit le cardinal, et qu’elle eut vu que, quoiqu’elle me pressât de le voir, je persistois à lui répondre que cette visite me rendroit inutile à son service, elle ne se put plus contenir : elle rougit ; et tout le pouvoir qu’elle eut sur

  1. Le maître et la maîtresse de la maison : Roger Du Plessis, duc de Liaucourt, mort en 1674 ; Jeanne de Schomberg son épouse, morte la même année, deux mois avant son mari. Tous deux avoient embrassé avec ardeur la cause du jansénisme.