Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/102

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voulut se persuader qu’elles avoient passé jeu, et que j’avois dit que je lui ferois donner des coups de bâton. Je n’y avois jamais pensé ; et il en a eu le même ressentiment que si la chose eût été vraie. Il contribua beaucoup à ma prison : et M. Le Tellier me dit à Fontainebleau, après que je fus revenu des pays étrangers, qu’il avoit proposé à la Reine plusieurs fois de me tuer. Ma colère contre lui ne fut pas si grande : elle se mesura à ma jalousie, qui ne fut que médiocre. Mademoiselle de Chevreuse n’avoit que de la beauté, de laquelle on se rassasie lorsqu’elle n’est pas accompagnée. Elle n’avoit de l’esprit que pour celui qu’elle aimoit ; mais comme elle n’aimoit jamais long-temps, on ne trouvoit pas aussi long-temps qu’elle eût de l’esprit. Elle s’indignoit contre ses amans, comme contre ses hardes. Les autres femmes s’en lassent : elle les brûloit ; et ses filles avoient toutes les peines du monde de sauver une jupe, des coiffes, des gants, un point de Venise. Je crois que si elle eût pu mettre au feu ses amans quand elle s’en lassoit, elle l’eût fait du meilleur de son cœur. Madame sa mère, qui la vouloit brouiller avec moi quand elle se résolut de s’unir entièrement à la cour, n’y put réussir, quoiqu’elle eût fait en sorte que madame de Guémené lui eût fait lire un billet de ma main, par lequel je m’étois donné corps et ame à elle, comme les sorciers se donnent au diable. Dans l’éclat qu’il y eut entre l’hôtel de Chevreuse et moi, à l’entrée du cardinal dans le royaume, elle éclata avec fureur en ma faveur ; elle changea deux mois après à propos de rien, et sans savoir pourquoi. Elle prit tout d’un coup de la passion pour Charlotte, une fille de chambre fort