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Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/170

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lité pour juger et apprécier, et ne se doutent pas que demander la suppression d’un paragraphe équivaut à prier un statuaire de couper un bras ou une jambe à l’un des personnages de son groupe.

Déjà, avec Turmal, Sylvère avait eu beaucoup à souffrir, et cependant Turmal avait, sinon le génie, du moins le flair de ces corrections par où s’allégeait la prose un peu lourde de ses habituels collaborateurs. Mais de Labut lui paraissait absolument insensé dans ses indications ; elle le regardait à deux fois, ébahie, croyant à un jeu. Et lui se flattait de l’éblouir, jouissant de la stupeur de Sylvère comme d’une naïve admiration.

Il arriva, fringant, rapportant la troisième partie du roman, sur laquelle il avait, dit-il, longtemps travaillé !

Mme du Parclet frissonna en s’efforçant de sourire, car il fallait que ce roman passât, dût-elle être martyrisée. Elle s’assit à sa table, devant le manuscrit étalé, et commença à en examiner toutes les mutilations, les coupures sanglantes. Elle serrait les dents pour ne point crier ; mais une pâleur courait de son visage à ses mins, comme si elle devenait exsangue.

Aussi ne s’apercevait-elle pas que Labut, penché sur elle, ayant l’air de lire, la frôlait toute, de son corps lentement approché, et faisait voler de son souffle les fins cheveux de sa nuque. Cramponnée à sa table, raidie, sa volonté tendue, elle pensait : « Je ne veux pas pleurer. » De Labut se disait : « Elle ne bouge plus, elle est troublée par mon contact, elle attend… »

Il se redressa, écarta sa moustache, affila sa longue barbiche blonde. Mais Janie ouvrit la porte :

— Madame, c’est M. de Meyrac.