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Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/196

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Mais l’orchestre a fait s’envoler cette cohue bariolée ; Sylvère est également partie, sans trop le vouloir, emportée par la fougue méridionale du troubadour de La Farge.

Et, lui gardant sa chaise, sa guitare et son éventail en forme d’aile toute blanche, le groupe des habits rouges et des habits noirs demeure. Ceux-ci venus pour voir, frôler, toucher, jaser, mais non pour sauteler, comme des sauterelles en un pré, sous la rafale des orchestres. Tout au plus, si, pour la promenade au buffet, ils vont chercher quelque danseuse, moite encore, qu’ils pressent, flairent, respirent en la faisant entrer, avec beaucoup d’efforts, dans la phalange des heureux qui ont conquis le buffet et le dévastent. Ils la servent et ne perdent de vue aucun de ses gestes ; ils connaissent ses dents, ses lèvres, sa langue gourmande, son cou gonflé et renversé quand elle boit et lève, trop haut, son bras sans manche.

C’est leurs petits profits de la soirée. Après trois ou quatre femmes ainsi menées, ils sont à point pour aller souper, et si quelqu’une, adroitement cajolée et tentée, accepte l’épreuve, ils s’en tirent généralement à leur honneur.

Parmi ceux-ci et moins jeune encore, mais depuis peu célèbre, venait d’entrer, tel un prince dans sa cour, le fameux lieutenant-colonel Baringer. Alix Deschamps l’avait connu simple capitaine dans une ville de garnison ; et il ne dédaignait pas, maintenant que la politique des mécontents avait fait de lui un leader et travaillait à en faire un maître, de venir encore parfois chez son ancienne amie, passer une heure les jours de foule ; mais, plus fréquemment, il y venait dîner, en un très petit comité prudemment et galamment choisi et trié sur |’éventail. Les plus jolies femmes