Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/51

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expliquait Scipion, ce n’est pas pour la rendre malheureuse, n’est-ce pas ?

— C’est juste, répondait Annibal.

Et les épargnes des frères Colombe s’en allaient, brin à brin effeuillées, au courant de la généreuse tendresse qui les emportait.

Manon apprenait la peinture sur porcelaine. Chaque matin, une femme de charge l’emmenait à un atelier célèbre, fort bien tenu, où l’on payait fort cher, et la ramenait le soir. D’abord elle s’était occupée du ménage ; mais Annibal craignit qu’elle ne se gâtât la main, et Scipion jurait qu’elle y perdrait ses goûts artistiques. En conséquence il continua à faire la cuisine et à servir Manon. Elle, cependant, s’amusait à faire de la couture comme une petite demoiselle bourgeoise, bien tranquille, avec ses mains blanches. Elle raccommodait le linge de la maison, et cela jetait les deux frères dans une extase ininterrompue de la voir empiler devant elle, d’un air de ménagère sérieuse, les tas de serviettes reprisées et les draps retournés cousus d’un beau surjet très fin. Il semblait qu’elle les comblât en daignant faire cet ouvrage ; ils arrivaient à persuader qu’elle réalisait des trésors d’économie en supprimant l’envoi de cet ouvrage au dehors.

Du reste, on l’en détournait souvent pour la ramener aux travaux propres à son instruction, laquelle était devenue la préoccupation constante des deux frères. Ils s’étaient mutuellement persuadés d’une sorte de devoir, d’une obligation, pour eux, de développer tous les dons naturels de l’enfant dont ils s’étaient chargés. Lorsqu’ils délibéraient sur un point de cette éducation et qu’Annibal contestait pour la forme, Scipion avait une façon de dire : « Ce serait un crime que d’y renoncer ! » qui amenait immédiatement l’assentiment d’Annibal ; et le projet était voté.

Chaque soir, Annibal enseignait à Manon tout ce qu’il savait d’histoire, de géographie et d’arithmétique. La table était couverte de mappemondes, de cartes, de livres, avec une belle écri-