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Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/193

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que c’était le moyen le plus sûr de les convertir, il y consentit. » Il est inutile d’insister sur cette conception de la fraternité chrétienne. Ce fut « après une décision formelle demandée à la Sorbonne par Richelieu » qu’il permit, comme on l’a dit, « le déplacement du théâtre de la servitude africaine, déplacement que ses croyances, sa politique et les intérêts de la France exigeaient alors également[1] ».

Nous reconnaîtrons volontiers que la religion chrétienne, prêchée dans d’autres conditions aux noirs africains, eût été le meilleur moyen de les gagner à une civilisation supérieure. Même dans leur misérable situation, et avec les réserves qu’on était bien forcé de faire dans l’explication qu’on leur donnait du dogme et de l’esprit évangélique, elle leur apportait quelques éléments de moralité, et, pour ceux dans le cœur desquels put pénétrer la foi, du moins à l’état rudimentaire, elle dut constituer la plus efficace des consolations. Malheureusement, nous sommes bien forcés de le constater, si les religieux, tout en possédant eux-mêmes des nègres, firent preuve, pour ceux-là en particulier et pour tous en général, de douceur et de bonté[2], la plupart des maîtres catholiques ne s’abstinrent pas de cruautés, qu’ils commettaient eux-mêmes ou laissaient commettre à leur égard ; et, quant aux notions morales qui leur étaient inculquées avec peine, les maîtres furent, dans la plupart des cas, les premiers à les détruire en eux. Sûrement, avec une population libre, le libertinage n’eût jamais atteint le degré où il fut poussé. Mais la famille chrétienne pouvait-elle réellement exister pour le nègre ? Fût-il autorisé à se marier, quel moyen avait-il de protéger sa femme et ses enfants ? Nous savons assurément qu’attribuer aux noirs esclaves nos idées sur la chasteté et sur l’honneur serait une grande erreur. Gar-

  1. Avis des Conseils coloniaux. Conseil de la Martinique, p. 30.
  2. Arch. Col., Colonies en général, XIII. Martinique, 11 avril 1764. Lettre de Fénelon au Ministre : « En général, les religieux traitent assez bien les nègres pour n’avoir presque pas besoin d’en acheter… »