Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/194

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dons-nous pourtant de les considérer comme incapables de ce sentiment de jalousie qu’on a remarqué jusque chez certains animaux. C’est le cas de leur appliquer le mot de Sénèque : Servi sunt ? Imo homines[1].

La plupart des esclaves importés aux Antilles étaient exclusivement fétichistes. C’est le caractère dominant chez la race nègre. « Les noirs sont fétichistes, c’est-à-dire qu’à leurs yeux tout est dieu, tout est animé d’une vie et d’une volonté, tout peut exercer une action sur l’univers. Chaque nation a cependant des êtres qui sont plus spécialement l’objet de son adoration ; là, c’est un animal, un léopard, un crocodile, un serpent ; ici, c’est un arbre, une pierre, un rocher ; ailleurs, c’est un lac, une rivière, la mer, la lune, la voûte céleste. La nature déjà si vivante de l’Afrique est, dans la croyance des nègres, douée d’une vitalité encore plus puissante ; et au monde des esprits des choses vient encore s’ajouter la foule innombrable des esprits des morts. — Le culte et la terreur des mânes règnent en maitres sur les noirs africains. Mais ces mânes, redoutables aux vivants, peuvent et doivent être apaisées et gagnées par des sacrifices. Elles ont, d’ailleurs, conservé les goûts et les besoins de ce monde, et la vie future semble calquée pour les nègres sur la vie terrestre. Les morts boivent, mangent, jouissent comme les vivants ; aussi leur offre-t-on de la nourriture, des liqueurs, des armes et des meubles, et, comme il leur faut des serviteurs et des femmes dans l’autre monde, s’ils ont été chefs et rois dans celui-ci, on égorge une foule de malheureux, dont les mânes sont chargées d’accompagner l’âme du défunt. Telle est l’origine de ces massacres effroyables qui ont lieu en Guinée, au Dahomey ou chez les Achantis, et qui sont connus sous le nom de « Grandes Coutumes[2] ». Toutes ces superstitions, les nègres les conservèrent aux Antilles, et elles ne furent pas

  1. Sén., Ep. XLVII, i.
  2. Girard de Rialle, op. cit., p. 60-61.