Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/315

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le fouet en est l’agent principal ; le fouet en est l’âme ; le fouet €st la cloche des habitations : il annonce le moment du réveil et celui de la retraite ; il marque l’heure de la tâche ; le fouet encore marque l’heure du repos ; et c’est au son du fouet qui punit les coupables qu’on rassemble, soir et matin, le peuple d’une habitation pour la prière ; le jour de la mort est le seul où le nègre goûte l’oubli de la vie sans le réveil du fouet. Le fouet, en un mot, est l’expression du travail aux Antilles. Si l’on voulait symboliser les colonies telles qu’elles sont encore, il faudrait mettre en faisceau une canne à sucre avec un fouet de commandeur. » C’est donc le fouet à la main que le commandeur mène toujours son troupeau ou sa meute. Les coups distribués par-ci par-là et qui ne font que cingler la peau ne comptent pas. Mais la flagellation infligée à titre de peine est d’application courante ; elle peut être ordonnée, pour la moindre faute, par le maître, l’économe ou le gérant, et, au jardin, par le commandeur. C’est toujours le commandeur qui remplit l’office de bourreau ; c’est, d’ailleurs, la plupart du temps un nègre esclave choisi parmi les autres. Donner des coups de fouet s’appelle « tailler » ; et en effet le fouet entaillait la peau. À l’origine le nombre de coups n’était pas limité ; puis il fut fixé en général à 29 ; mais il faut croire qu’on le dépassait, puisqu’en 1786 nous voyons qu’il sera désormais interdit de donner plus de 50 coups[1]. Comme on attachait d’habitude le patient à quatre piquets par terre, de là vint l’expression de donner ou subir un quatre-piquets ; si on liait l’esclave à une échelle, c’était le supplice de l’échelle ; était-il suspendu par les quatre membres, c’était le hamac ; par les mains seulement, c’était la brimballe. Le fouet donnait donc déjà lieu à un certain nombre d’applications variées, d’un usage journalier. Dans certains cas, il était remplacé soit par la rigoise ou grosse cravache en nerf de bœuf[2], soit par des coups de lianes ou branches « souples

  1. Arch. Col., F, 263. Ordonnance du 15 octobre 1786. Voir plus loin, p. 334.
  2. Cf. Dessalles, II, 351 ; Schœlcher, Col. françaises, 28.