Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/445

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le deuxième, ils sont affranchis des « charges, services et droits utiles que leurs anciens maîtres voudraient prétendre tant sur leurs personnes que sur leurs biens et successions en qualité de patrons » ; ils ne sont assujettis qu’à une sorte d’obligation morale envers eux et leurs familles, en étant tenus de leur « porter un respect singulier » ; enfin le troisième leur accorde tous « les mêmes droits, privilèges et immunités » qu’aux personnes nées libres. Telle est la théorie, en apparence très libérale, contenue dans ces articles. Il semble qu’il n’y ait eu, pour ainsi dire, plus de différences entre les gens de couleur libres et les blancs. Toutefois, dans la vie réelle, les mœurs l’emportèrent sur la législation pour maintenir comme une barrière infranchissable entre les uns et les autres. Aucune mesure ne triompha jamais du préjugé de couleur. Bien plus, il provoqua un certain nombre de règlements locaux ou généraux destinés à rappeler aux sang-mêlé la distance qui les séparait des blancs. On peut voir dans Moreau de Saint-Méry[1] les innombrables combinaisons de couleur des sang-mêlé. Eh bien, tout individu qui était réputé avoir même une partie infinitésimale de sang noir était rangé dans cette catégorie. La distinction radicale entre les deux classes, établie par les colons, fut même soigneusement entretenue par les administrateurs et le gouvernement central qui, par intérêt politique, furent amenés à la consacrer.

Sang-mêlé ! Cette appellation seule fut de tout temps considérée aux Antilles comme un terme de mépris. Elle constitua même un outrage passible de peines sévères. Voici, par exemple, un arrêt du Conseil de Léogane, du 11 septembre 1742[2], contre un individu « atteint et convaincu d’avoir témérairement et calomnieusement taxé l’intimé d’être issu de sang-mêlé et sa mère de la race d’Inde ». Il devra demander pardon en la chambre des audiences du siège royal de Saint-Marc ; il est, en outre, condamné à 1.500 livres d’amende et

  1. Description de Saint-Domingue, I, 83.
  2. Arch. Col., Code Saint-Domingue, F, 271, p. 105.