Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/475

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jours : il en a été ainsi ; il ne pouvait pas en être autrement ?

Pour la charrue, par exemple, elle avait été importée aux Antilles par les premiers colons. Mais elle fut à peu près complètement délaissée, dès que la main-d’œuvre fut tombée à vil prix. « Du jour où le rang social se mesura au nombre des nègres que l’on possédait, le dédain de tout autre instrument que la houe de l’esclave devint à la mode pendant deux cents ans, et ce ne fut que vers la fin du siècle dernier, lorsque le régime de la servitude avait été ébranlé, que reparurent quelques charrues[1]. » En effet, à cette époque, le sieur Brun, ancien major des volontaires corses, se fait accorder le privilège exclusif pendant six ans pour la vente d’une charrue de son invention, destinée à « labourer à l’aide d’un nègre et d’un mulet autant de terres que 12 nègres par la méthode ordinaire du pays[2] ». Cette méthode, empruntée aux Espagnols, et déjà décrite par l’historien Oviedo dans les premières années du xvie siècle, était des plus primitives, et elle maintint l’agriculture dans la plus déplorable routine. Il faut attribuer sans doute à la nonchalance des créoles, produite à la fois par le climat et la facilité de la vie, le manque absolu d’initiative dont ils témoignèrent pour améliorer leurs procédés de culture. En même temps, ils ne se préoccupèrent pas du danger qu’ils couraient d’épuiser le sol par le développement à outrance d’une seule culture, sans avoir recours à l’alternance des récoltes.

L’intérêt ne fut même pas pour eux un stimulant suffisant. On reste confondu en constatant avec quelle insouciance,

  1. J. Duval, op. cit., p. 154.
  2. Moreau de Saint-Méry, V, 332, 4 novembre 1770. — Le Ministre écrit, le 18 juillet 1777, à M. de la Busquière, médecin à Sainte-Lucie, pour lui accuser réception d’un Mémoire dans lequel il proposait d’encourager l’usage de la charrue. Arch. Col., B, 160, Martinique, p. 72. — « On peut démontrer facilement qu’en se servant de la charrue on laboure et l’on plante plus dans un jour et avec un nombre dix fois moins grand de nègres formés au travail qu’on ne pourrait bêcher et planter à la manière accoutumée. » Clarkson, op. cit., p. 268.