Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/476

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uniquement préoccupés de fournir des denrées d’exportation à la France, ils négligèrent les cultures destinées à leur propre alimentation et à celle de leurs esclaves. Ce fut au point que, plus d’une fois, les Antilles furent exposées à la famine, quand, pour une cause ou pour une autre, manquaient les arrivages de farine, ou de bœuf salé d’Irlande, ou de morue de Terre-Neuve, importés de France. Dans la vie ordinaire, il ne fut pas rare de voir des propriétaires obligés de recourir à leurs esclaves, — qu’ils étaient tenus de nourrir, — pour se procurer leur propre nourriture journalière ; car ceux-ci élevaient de la volaille, ou bien un porc, une chèvre, cultivaient quelques légumes, ou encore allaient à la pêche ou à la chasse, bien entendu avec l’autorisation de leurs maîtres. Mais on ne comprend pas que les propriétaires des grandes habitations n’aient pas plus souvent pris soin d’entretenir une basse-cour, d’élever des bestiaux, de réserver une portion de terrain pour la production de denrées alimentaires.

3° Ajoutons à cela qu’en vertu des idées économiques de l’époque, représentées, par le régime exclusif du pacte colonial, la métropole ne voyait dans les colons que des sujets d’une espèce particulière destinés à lui acheter ses produits manufacturés et alimentaires, à des prix, le plus souvent, excessifs[1], alors qu’ils étaient contraints de céder en échange leurs denrées de culture à un taux relativement bien moindre,

  1. « Il n’est pas rare de voir les marchands gagner 100 pour 100. » Du Tertre, II, 460. — En 1670, les habitants de Saint-Domingue se révoltent contre les abus du monopole commercial. La Compagnie vendait une aune de toile 6 livres, et les Hollandais 20 sols, un baril de lard 750 livres de tabac (ou 7 pistoles et demie), et les Hollandais 200. Dessalles, I, 500-501. — « … Le gain que les marchands font sur les marchandises qu’ils portent aux îles est si excessif qu’il n’y a presque plus moyen de le supporter. L’argent que la Compagnie avait apporté ici pour le bien commun des habitants a été tout enlevé… » Arch. Col., C8, I. Lettre de M. de Baas au Ministre, 8 juin 1674. Les administrateurs et les colons ne cessent de se plaindre de cette exploitation dont ils sont victimes. — « L’office de ces établissements est d’opérer la consommation des produits de la culture et de l’industrie du royaume ; ils fournissent de plus des denrées de luxe que l’habitude nous a rendus nécessaires. » Mémoire du roi, du 7 mars 1777. Durand Molard. III, 281.