Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/479

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sions des chefs, souvent même par leur impéritie ou leur cupidité. Le climat et le sol énervent l’homme, les institutions l’y dégradent, et il est très difficile, pour ne pas dire impossible, d’y garantir les livres de l’humidité, des vers et des insectes. »

6° Enfin, un des résultats les plus funestes de l’esclavage a été l’avilissement du travail libre. Comme dans le monde antique, il finit par sembler aux libres que toute besogne matérielle les eût fait déroger à leur état. Mais, à la différence des anciens, ce n’était pas pour mieux vivre de la vie de l’esprit qu’ils s’abstenaient de ces travaux. En définitive, le nom de manœuvre ou de laboureur resta indissolublement lié à celui d’esclave. Déjà, avant 1848, on a pu dire : « L’esclave déteste le sol ; l’homme de couleur et l’affranchi le méprisent, et le blanc l’exploite à la hâte comme une mine qu’on fouille avidement avec la pensée d’un prochain abandon[1]. » C’est pourquoi, après l’émancipation, il a été si difficile de réhabiliter la main-d’œuvre libre. Force a été de recourir à des travailleurs du dehors, tels que les coolis indiens, africains, même chinois, pour faire reprendre la culture, après la terrible crise provoquée par la suppression brusque de l’esclavage. Ce système, reconnu d’ailleurs par l’expérience comme détestable au point de vue social et économique, n’a pas non plus contribué à relever le travail libre[2].

7° Les économistes se sont demandé encore s’il y eut même une économie réelle à employer des esclaves, au lieu de libres, pour mettre en valeur le sol et ses produits. Suivant Adam Smith[3], « l’expérience de tous les temps et de toutes les nations s’accorde pour démontrer que l’ouvrage fait par des esclaves, quoiqu’il paraisse ne coûter que les frais de leur subsistance, est, au bout du compte, le plus cher de tous.

  1. Revue coloniale, 1847, t. XII, p. 138. Art. de M. Garnier.
  2. Cf. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., pp. 238 et suiv., et passim.
  3. T. I, liv. III, ch. ii, p. 463-465. Cf. aussi liv. I, ch. viii, p. 103. Voir encore G. Roscher, Principes d’économie politique, trad. Wolowski, Paris, 1857, 2 vol. in-8, I, pp. 156 et suiv.