Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/480

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Celui qui ne peut rien acquérir en propre ne peut pas avoir d’autre intérêt que de manger le plus possible et de travailler le moins possible. Tout travail au delà de ce qui suffit pour acheter sa subsistance ne peut lui être arraché que par la contrainte et non par aucune considération de son intérêt personnel. » Dans la pratique, il a été partout constaté, en effet, que la somme de travail des nègres uniquement obtenue par la force n’était pas équivalente à celle que pouvait fournir un colon libre, rémunéré par un salaire ou exploitant sa propre terre. Il est intéressant de voir qu’un administrateur de Cayenne, — qui, par conséquent, a étudié la question sur place, — écrit en 1768[1] : « On croit pouvoir mettre en fait que les propriétaires, en payant la journée d’un homme libre plus cher que ne leur coûte aujourd’hui la journée d’un esclave, ne diminueraient pas pour cela leur revenu. Un plus fort salaire rendrait une plus forte somme de travail. Des travailleurs libres, mieux entretenus et mieux traités que des esclaves, seraient plus dispos, plus vigoureux. Ils joindraient à la force mécanique l’intelligence et la bonne volonté qui manquent à la plupart des esclaves. » Il faudrait, en réalité, pouvoir calculer ce que coûtait le prix d’un esclave et le salaire d’un libre. Naturellement il y eut beaucoup de variations, suivant les époques. J.-B. Say évalue à 500 francs[2] le coût annuel d’un esclave, y compris l’intérêt et l’amortissement du prix d’achat, tandis qu’il porte à 1.800 francs les gages d’un laboureur. Peut-être ce dernier chiffre est-il exagéré. D’autre part, si l’entretien des nègres ne coûtait relativement presque rien[3], il faut faire entrer en ligne de compte,

  1. Arch. Col., Colonies en général, XIII, F, 90. Plan proposé pour opérer successivement la suppression de l’esclavage dans l’habitation de Montjoly, à Cayenne.
  2. Cf. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., I, 773.
  3. La dépense occasionnée par un nègre « ne peut aller à 20 écus par an ». Lettre de De Goimpy, 28 juillet 1687. Arch. Col., C8, 4. — Labat, IV, 207, faisant le compte de la dépense totale d’une habitation de 120 nègres, l’évalue à 6.610 livres, soit 55 par tête. — Schœlcher, Colonies françaises, 268-269, donne le chiffre de 100 livres par an.