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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/17

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voyait pour la première fois, me fit plusieurs questions sur son compte, et, pour la satisfaire, j’ai promis de lui faire part de ce que, vrai ou faux, l’on m’a dit de lui ; ce sera donc pour la prochaine occasion… Mais, chère enfant, le bruit et l’agitation qui règnent ici commencent à me fatiguer. Ces monstres de sauvages me déchirent les oreilles avec leurs épouvantables hurlemens.

— Il y en a déjà un grand nombre d’arrivés, et s’ils étaient seuls à crier encore ! ajouta Blanche, fière d’avoir réussi à distraire sa mère de l’idée du pavillon qui paraissait l’obséder. — J’ai compté trente canots, mais voilà le monde qui s’attroupe devant nous et déjà nous ne pouvons plus voir qu’une partie de l’îlot.

— Oui, et voilà M. Boldéro qui disparaît lui-même dans la foule. Où est madame Chazel ?

— Mais là, à notre droite, toujours dans ce groupe, avec la belle étrangère qui se retourne en ce moment du côté de son carrosse.

— Comme nous, sans doute, elles craignent de rester ici plus longtemps. Il faut les prévenir, Blanche… Mais j’aperçois madame Chazel qui vient elle-même à nous.

Blanche jeta un dernier regard sur l’îlot et soupirait en réfléchissant sur la nécessité qui l’obligeait de quitter son poste avant le retour de son père et de Bronsy, lorsqu’elle eut la douleur de les voir disparaître derrière la foule qui s’était peu à peu formée autour de M. Boldéro Crozat. Ce rideau compact tiré sur la scène dont madame Aubert et ses amies avaient voulu jouir, ne leur laissait plus voir rien qui attirât leur attention, reportée désormais toute entière sur elles-mêmes. Craignant de s’exposer à des désagrémens en prolongeant leur promenade, toutes ces femmes se réunirent en un seul cercle et, conduites par celle que mademoiselle Aubert avait appelée la belle étrangère, elles disparurent, emportées par sa voiture vers l’intérieur de la ville, Blanche se consolant d’être trop tôt partie par l’espoir de se voir, à la veillée, réunie au sein de sa famille avec son cher Bronsy.

III

Les présents apportés par les chefs indiens avaient été soigneusement déposés dans les voûtes de la Compagnie des Pelleteries. Une inscription mise sur chaque paquet en désignait le donateur. Les indiens, au nombre d’environ cinq cents, logés sous les remparts de la ville y avaient passé la nuit à l’exception de quelques-uns, restés sur l’îlot pour prendre soin de leurs embarcations.

Le matin, de bonne heure, on les avait conduits militairement sur la plaine, où des cabanes ou plutôt des toits avaient été improvisés pour leur servir d’abris pendant leur séjour à la grande bourgade, ainsi qu’ils désignaient la ville de Montréal. Ces constructions, placées à distance du mur et en parallèle avec lui, laissaient libre, au milieu, un vaste espace destiné aux exercices du jour. La portion des troupes de la garnison qui avait servi d’escorte aux chefs des députés, était stationnée en face d’eux, à la droite de la barrière, laissant entre elles et les bastions un champ spacieux où pouvaient circuler librement, et en toute sûreté, les femmes et ceux qui les accompagnaient dans cette excursion ; car cette classe des spectateurs seule avait la permission de se promener de ce côté. La gauche était assignée au reste de la population, c’est-à-dire à tous les promeneurs qui ne conduisaient pas de dames. À mesure que les habitants de la ville sortaient par cette porte, ils se divisaient donc en deux catégories parfaitement distinctes, et chacune allait occuper séparément l’espace qui lui était réservé. Cette disposition était nécessaire pour prévenir la confusion et les dangers auxquels, sans cela, les personnes du sexe auraient pu se trouver exposées. Seulement, les spectateurs de la gauche pouvaient facilement, de ce point, se porter en avant et se répandre dans toutes les directions au-delà des toits qui abritaient les indiens ; mais ce privilége étaient sagement interdit aux promeneurs et surtout aux promeneuses de la droite, protégées de toutes parts par des remparts infranchissables.

Telle était la principale distribution de ce théâtre en plein vent. Une foule innombrable de spectateurs l’occupait déjà, lorsque le bataillon du lieutenant Claude Bronsy et le reste de la garnison y arrivèrent avec les gens qui les suivaient et qui tous défilèrent à gauche.