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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/18

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La ville était, pour le moins, aux trois quarts sur la plaine.

Dès que les miliciens eurent pris position avec les troupes de ligne, Bronsy, dont l’anxiété n’avait fait que s’accroître depuis qu’il s’était aperçu qu’il n’avait pas tout lu la lettre de mademoiselle Aubert, ne songea plus qu’au moyen de se satisfaire, déterminé de s’en créer au besoin l’occasion, si elle tardait trop à se présenter à lui. Son impatience s’avivait davantage au contact de la lettre, toujours logée entre la paume de sa main et le gant qui la recouvrait, pendant que ses doigts, soigneusement repliés sur ce papier chéri, semblaient en le palpant à travers le léger tissu vouloir en tirer le secret que le jeune homme brûlait de connaître. Mais ce vœu ne devait pas être sitôt exaucé. Le spectacle à la fois simple et saisissant qui se déployait sous ses yeux, les mille et un mouvements qui s’opéraient de toutes parts et, plus que tout cela, l’ordre qu’il fallait avant tout maintenir en présence de cinq cents guerriers indiens, ne fut-ce que pour leur donner l’exemple, tout réclamait une attention incessante de la part des troupes. Le bataillon de milice pouvait, comme les autres, à chaque instant recevoir quelque ordre. Bronsy était donc forcé d’attendre.

Les directeurs de la compagnie des pelleteries s’étaient avancés dans l’espace resté libre entre les troupes et les représentants des tribus. M. Aubert traça sur la terre, avec la pointe de son épée, un grand cercle, dont la circonférence s’étendait, du côté des Indiens, jusqu’aux portes de leurs cabanes ; le centre en était indiqué par un mât pavoisé et qui se trouvait vis-à-vis d’une estrade élevée au côté opposé, c’est-à-dire à une petite distance des troupes. Cela fait, M. Aubert, suivi de ses associés, alla prendre sa place sur cette estrade ouverte de toutes parts et abritée seulement par une tenture qui y projetait une ombre rafraichissante. Les présents destinés aux chefs indiens y étaient étalés avec profusion, et les directeurs, qui se réservaient l’honneur d’en faire eux-mêmes la distribution, pouvaient, de là, y présider à leur aise.

Sur un signal donné, les chefs indiens et leurs compagnons, tous en costume d’apparat, s’avancèrent dans l’arène qui venait de leur être tracée, et purent en toute liberté s’y livrer à leurs danses et à leurs représentations les plus fantastiques.

Ces jeux faisaient depuis plus d’une heure l’amusement des curieux qui les contemplaient, lorsque les promeneurs qui s’étaient postés en arrière des toits réservés aux indiens, venant à s’en approcher de trop près, firent craindre quelque désagrément, sinon du désordre. Plusieurs jeunes gens s’étaient déjà perchés sur ces toits et il était évident que cet exemple allait avoir de nombreux imitateurs, surtout parmi la foule des gamins qui s’étaient portés de préférence dans cette direction, sans doute parce que, plus éloignés de la surveillance qui s’exerçait sur les autres points, ils croyaient celui-ci abandonné en quelque sorte à leurs espiègleries. Il fallait donc prévenir tout ce que cet envahissement du camp sauvage pouvait avoir de fâcheux. Il n’y avait pas de temps à perdre, car déjà plusieurs indiens, qui venaient de terminer pour le moment leurs rôles, se retiraient de l’arène avec leur chef et gagnaient rapidement leurs cabanes. On résolut aussitôt d’y stationner quelques troupes. L’ordre en fut donné au commandant des miliciens, et ce fut le lieutenant Bronsy qui, en l’absence de son capitaine, se trouva chargé de cette mission.

Bronsy reçut ses instructions avec une joie que son commandant, qui n’en connaissait pas toute la cause, prit uniquement pour de la reconnaissance et du dévouement ; aussi se proposait-il de l’en féliciter à son retour. Le jeune lieutenant s’empressa de conduire sa compagnie sur le point indiqué. Partout accueilli avec des démonstrations amicales ou pacifiques, il n’eut point de peine à rétablir les choses dans l’état où il avait ordre de les maintenir. À son approche, les jeunes gens s’étaient hâtés de descendre des toits, ceux qui s’apprêtaient à y monter s’en étaient prudemment abstenus et tous, obéissant à ce mouvement rétrograde, se retiraient aux cris de : Vivent nos braves miliciens ! vive le lieutenant Bronsy ! La place était libre. Bronsy y installa sa troupe et prit ses mesures pour contraindre les curieux à se tenir au large ; car si la foule s’était dispersée pour se reporter sur les autres points de vue, comme elle venait