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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/19

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de le faire, avec toute la bonne volonté possible, elle pouvait revenir et les toits eussent été bien vite envahis de nouveau sans les sages précautions prises sur le champ par notre milicien. Au reste, disons-le franchement, il était bien aise de pouvoir en ce moment écarter tout intrus qui aurait osé pousser l’indiscrétion jusqu’à regarder par-dessus ses épaulettes, pour lire avec lui, et malgré lui, la lettre de sa chère Blanche. Il allait le connaître enfin ce secret. Le moment était favorable, l’ordre régnait partout, le spectacle qui fixait tous les regards promettait de durer encore quelques heures, et lui ne demandait qu’une minute. Mais que cette minute était précieuse ! Il lui semblait qu’elle contenait toute la durée de son existence. Ivre de joie de posséder une occasion si ardemment désirée, mais tremblant à l’idée qu’elle pût receler un désappointement, il courut se mettre à l’écart et là, d’une main frémissante, il porta le papier à ses yeux et y lut ces mots écrits de la main de Blanche : « Je m’acquitte envers vous d’une promesse ; vous en trouverez la preuve enfin sous ce pli. Comme vous le voyez, c’est une surprise que je vous ménageais, puisque je ne vous en ai pas prévenu hier soir. Si elle vous est agréable, je me consolerai de vous avoir fait attendre. Puisse cet anneau, Claude, toujours porté par vous, comme je porte moi-même celui que je tiens de votre foi, m’être constamment un nouveau témoignage de votre estime et de votre affection. »

Les tourments de l’incertitude ne cessaient donc pour Bronsy qu’afin de se renouveler aussitôt. Sans doute, la surprise de Blanche lui était agréable au-delà de toute expression ; mais l’anneau, ce présent tant sollicité que la gracieuse et confiante jeune fille avait eu l’exquise délicatesse de lui envoyer au moment où le devoir l’obligeait à lui faire part d’une nouvelle bien attristante ; l’anneau pour lequel Blanche avait consenti de couper une boucle de ses cheveux et qu’elle lui demandait de porter, où était-il ? Bronsy retourna instinctivement la feuille qu’il tenait, jeta la vue sur la nappe de verdure qui s’étendait à ses pieds, croyant qu’il y était tombé ; mais il ne put découvrir aucune trace de l’anneau. Il soumit ensuite ses poches et ses gants au plus scrupuleux examen, il n’y était pas non plus. Qu’était-il donc devenu ? Le jeune homme se porta vivement la main au front : une idée lumineuse venait de le frapper. « Ah ! c’est cela, se dit-il aussitôt ; l’anneau de Blanche est resté dans le cabinet du gouverneur ; la lettre en tombant s’est déployée et la bague aura roulé sans bruit sur le parquet. » — « Mais non, pensa-t-il après une pause ; si l’anneau eût été dans la lettre, je m’en serais aperçu ; il était sans doute dans l’enveloppe que j’ai oubliée sur le bureau, ou plutôt que je n’ai pas eu le temps d’emporter. Quelle fatalité dans tout cela ! » Et il se mit à repasser dans son esprit toutes les circonstances qui avaient marqué son entrée à l’hôtel du gouvernement ; il n’en voyait qu’une seule qui pût le justifier de s’inculper lui-même, c’était d’avoir déposé l’enveloppe sur le bureau au lieu de l’avoir gardée dans sa main. Cette action, si naturelle et si simple, était pourtant une grande faute à ses yeux. Il jura de ne jamais se la pardonner, s’il ne retrouvait pas l’anneau de Blanche. Comment en effet se résoudre à se présenter à elle, sans le lui montrer ? surtout pour la première fois après l’avoir reçu. N’était-il pas à l’avance convenu de le porter toujours à son doigt ? et Blanche ne l’en priait-elle pas elle-même maintenant ? Que penserait-elle de lui, d’ailleurs, s’il allait lui faire connaître cet accident ? Ne le prendrait-elle pas pour un étourdi ? pour un homme inepte et incapable de répondre à sa confiance ? Ô combien il eut donné en ce moment pour se voir libre ! Avec quelle impatience il attendait l’heure où il lui serait possible de se livrer à des recherches !

Bronsy s’abandonnait au cours de ses réflexions, se promenant de long en large à l’ombre projetée sur le gazon par les toits près desquels il se trouvait, lorsque son attention fut attirée par un chef indien qui venait d’en sortir et qui paraissait vouloir approcher de lui. Ses factionnaires lui barraient le passage ; l’indien, ne pouvant se faire comprendre d’eux, cherchait à traduire ses paroles par des signes qui leur indiquaient qu’il voulait parler à leur chef. Bronsy s’approcha de ses miliciens en leur ordonnant de le laisser passer. Quand le sauvage fut assez près de lui pour lui adresser la parole, il s’ar-