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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/27

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dérer son hilarité et il balbutia quelques mots d’excuse.

— Vous voilà, Quimpois, il suffit, lui dit M. Boldéro ; je ne regrette pas le temps que j’ai passé ici à vous attendre, car on m’a dit tant de bien de vous que je vous pardonne tout, jusqu’à l’alerte que vous venez de nous causer, ajouta-t-il en riant.

— Oui, reprit l’hôtelier, je me joins à monsieur pour te pardonner de l’avoir fait attendre deux heures, mais c’est à condition que tu saches parler l’abénakis, comme je m’en suis rendu garant tout à l’heure à monsieur, quoique je ne sois pas bien certain que tu possèdes cette langue.

— Mais monsieur m’avait donné jusqu’à midi à me voir, répondit Quimpois ; l’angélus ne venait que de sonner à la paroisse comme j’arrivais sur la place d’Armes, et de là je n’ai pas mis plus de cinq minutes à me rendre ici, je pense. N’est-ce pas M. Boldèro ?

Ce dernier ayant répondu dans l’affirmative, Quimpois reprit :

— Et puis il faut vous dire que sans M. Aubert, je serais venu plutôt.

— Vous l’avez donc vu ?

— J’étais près de l’estrade où il se trouve avec nos autres bourgeois, et je causais tranquillement avec un de mes vieux compagnons du Nord, lorsque M. Aubert, qui a toujours les yeux partout, comme vous savez, m’a aperçu ; il m’a fait signe d’approcher, pour me dire que vous deviez me rencontrer à l’Auberge du Castor, à quoi j’ai répondu que je le savais bien. Alors il s’est mis à me gronder un peu, comme ça, en me tapant sur l’épaule et me disant : — « Eh bien, mon enfant, si tu le sais, vas-y donc. » Je lui ai dit : « Oui, monsieur, j’allais justement partir quand vous m’avez appelé. Il m’a ensuite recommandé de vous dire de vous débarrasser le plus promptement possible de l’affaire qui le regarde et d’aller le rejoindre ; car il aimerait, m’a-t-il dit, vous voir au moins pour quand les présents vont être donnés aux chefs. »

— Et cela se fera-t-il bientôt ?

— Mais pas avant une heure ou deux encore, car quand j’ai quitté la plaine, le grand bal n’était pas encore commencé.

— Le grand bal ? demanda encore, M. Boldéro.

— Oui, je veux dire la grand’danse des guerriers. Ô c’est beau à voir, ça ! Je veux qu’on me fasse la chevelure tout de suite, si j’aurais jamais consenti à ne pas l’aller voir, n’était que pour l’amour de vous et de M. Aubert.

— Il serait bien dommage, répartit M. Boldéro, qu’une aussi belle chevelure que la tienne, Quimpois, pût être enlevée pour si peu de chose.

Quimpois avait, en effet, une chevelure magnifique ; c’était bien aussi la partie de sa toilette qu’il soignait le mieux ; elle descendait avec profusion jusque sur ses épaules, à la manière des voyageurs du temps, ce qui lui allait à merveille avec son chapeau rond garni de plumes rouges et bleues, sa ceinture tout brillante de rassades et ses mitasses brodées en soies de porc-épic teintes des couleurs les plus vives.

M. Boldéro retourna ensuite dans la chambre d’où il était sorti, en priant Quimpois de l’y suivre. Après avoir soigneusement fermé la porte derrière eux, M. Boldéro fit confidence au voyageur d’une partie du projet qu’il s’agissait d’exécuter. Il lui dit que M. Aubert se rendait à St. François pour affaire importante et qu’ils avaient tous deux jeté les yeux sur lui, Quimpois, comme l’homme le plus capable de les seconder dans cette entreprise ; que M. Aubert prenait de suite la voie du fleuve, mais il voulait que le but de son voyage restât secret jusqu’à son retour et qu’en attendant on laissât les gens dans la croyance qu’il était allé à Trois-Rivières où il avait coutume de se rendre, à pareille époque de l’année, pour les affaires de la compagnie. Après cet exposé, M. Boldéro demanda au guide s’il pouvait équiper deux des plus grands canots de la compagnie et les tenir prêts pour ce jour là même, attendu que le départ devait avoir lieu sitôt que M. Aubert pourrait quitter la plaine.

Quimpois ne demanda qu’une heure pour faire tout ce qu’on exigeait de lui.

— Je sais, dit-il, où prendre mes hommes, je les ai vus, il y a un instant, sur la plaine et je leur ai bien recommandé de m’attendre ; mes provisions sont toutes faites, je n’ai qu’à les prendre dans vos hangars, et les canots nous attendent sur la grève, ils sont dans le